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Quelques expositions pendant qu’il fait jour des deux côtés de la Seine…

20/01/2021

Thomas Klotz chez Nathalie Obadia

         C’est une exposition artistique d’œuvres d’aspect photographique. Son intitulé « I’ll never be young again » est inspiré d’un livre de Daphné du Mourier. Il annonce une autre publication, celle ci purement photographique, de l’artiste. L’exposition laisse perplexe et s’ouvre sur une aporie esthétique. L’impression d’avoir déjà vu tout ça fait que la plupart des œuvres, bien que portées tantôt par un fond cinématographique tantôt par une allusion à de la peinture abstraite, semble appartenir sinon au passé, du moins à quelqu’un d’autre. Certaines images renvoient allusivement à de l’image de presse, à quelque portrait capté ou scénarisé par Diane Arbus, Nan Goldin, ou Sandrine Elberg, voire Valérie Jouve ou Martin Parr tandis qu’un extérieur fait penser à un paysage vu par Jean-Marc Bustamante… Pour peu qu’une forme esthétique transparaît plus fermement, sa filiation avec des solutions plus inaugurales paraît difficilement évitable. De sorte qu’en deçà d’une recherche visuelle ou référentielle narrative/plastique à laquelle réfère naturellement le photographique, chaque image s’évide d’une imagination qu’on ne trouve qu’en s’impliquant abusivement. Reste une production magnifiquement réalisée, d’une relative diversité et pour cela intéressante, mais pas dérangeante. De fait, il n’y a sans doute pas vraiment d’aporie.

 

Encore chez Nathalie Obadia : Rosson Crow

          Très plastique mais aussi très marquée techniquement, cette série de peintures intitulée « Next year at Marienbad » frappe par son emprise artistique. Les tableaux peuvent représenter un intérieur ou un bouquet de fleurs, un champ de cactus ou un paysage onirique ; l’artiste, immergée dans le film éponyme d’Alain Resnais, a tout fait pour que chaque composition visuelle semble se liquéfier ou se disperser sans retenue, pour qu’on passe d’un espace réel à un espace fictif mêlé de moments vaporeux et fantasmatiques. Transcrits d’abord sur toile par report photographique, puis repeints/ rehaussés à la bombe aérosol, les motifs voient leurs formes se diluer à travers des sommes d’aperçus d’objets virtuels et d’effets hallucinatoires. Dans la galerie, sur les murs largement couverts par les toiles toutes très grandes, chaque œuvre remplit le regard en donnant l’impression d’être emportée par des renversements visuels ironiques, et en même temps nous déposséder de nous mêmes et nous séduire avec des illusions stylistiques.

          Le fabriqué tient ce travail scénaristique comme le théâtre enjoint le spectateur de croire à tous les artifices de son spectacle. Et là, pour le coup, tant par leur format immersif que leurs univers exubérants et fantaisistes, les images quelque peu surjouées et surpeintes par Rosson Crow évoluent en flottant dans un festival d’interprétations optiques, plastiques et illustratives exagérément stylisées pour, en premier, plaire.

 

Jim Dine chez Templon rue Beaubourg    

      Deux séries de peintures, l’une autour de l’autoportrait, l’autre autour des outils et de l’univers du travail et corrélativement l’atelier.     

           Annoncée sous le titre « A day longer » l’exposition se déploie dès l’entrée de la galerie à partir d’un autoportrait à la fois dessiné/esquissé et sculpté/« rétablisé » dans un cadre entremêlé avec une boîte/coffrage ; l’ensemble a des allures d’ex voto à soi-même.    

         Une réflexion appuyée de l’artiste sur son travail, par ailleurs rappelée par la galerie, éclaire l’esthétique des deux séries d’œuvres : « Quand vous peignez tous les jours, tout au long de l’année, alors le sujet est essentiellement celui du travail ». Le lien est affirmé que le « Sujet » au travail peut s’apparenter au travail du « Sujet par lui-même » ou « depuis Lui-Même». Que ce soit par les dimensions des œuvres, ou à partir de l’art que conçoit Jim Dine et que la galerie promeut en écho, la place subjective et arbitraire du peintre passe par son auto-référenciation d’auteur. Sur les murs, aussi bien physiquement que fictivement, le Sujet, artiste total aux prises avec son travail exprimé, se montre simultanément comme il est et comme il travaille en totalité.    

        Les œuvres rassemblées dans la première partie de la galerie paraissent avoir été inventées par Jim Dine pour témoigner de son imagination ponctuelle. Comme un rappel d’une précédente exposition, les outils de travail directs et indirects, évidents ou métaphoriques que sont des marteaux et des pinceaux, des scies et des tournevis, la taille d’un support ou son orientation et son allure, des couleurs (palette, vivacité et intensité,  spécificité, étendue d’un spectre…) ou les matières (minérales, liquides, stables ou instables), les effets visuels et les effets de lumière, la description littérale des formes et celle, suggestive, de leur perspective d’image dans la composition, tout cela module l’action, draine l’expression artistique et, d’un mot, martèle le besoin d’expérience dans l’action. Tout instaure ou renvoie aussi au travail et à la plasticité en gestes de la recherche esthétique. Et on peut dire qu’en l’espèce, Jim Dine y va de toutes ses énergies disponibles. Ça pullule, se disperse, s’épand ou émerge : pas un endroit du tableau ne semble visuellement désinvesti. En l’espèce encore et sous toutes ses formes, le « Sujet » est partout dans chaque œuvre, essentiel et efficient, prêt à « alchimiquer » toutes les relations plastiques qu’il entend constituer dans chaque œuvre.     

          Si Jim Dine a été historiquement un des acteurs essentiels du Happening dans les années 50, puis du Pop Art en 1960, par ailleurs il ne répudie manifestement rien des audaces de l’expressionnisme abstrait et spatial des mêmes moments aux USA, à commencer par l’emploi de la technique « all over », ou l’idée qu’une œuvre occupe sans contradiction son autonomie et son extension spatiale. On remarque en ce sens que son intervention déborde partout les supports et qu’à défaut de maintenir apparemment son programme pictural dans les limites du plan supposé les contenir, l’artiste entraîne chaque œuvre dans une focalisation spectaculaire sur ses constituants éparpillés. On note aussi qu’en guise de preuve de liberté ou selon son seul plaisir, il peut, dans sa peinture, user d’une figure ironiquement centrée ou d’une zone médiane de couleur vive ; il peut mobiliser une orientation horizontale ou un découpage du tableau en séquences supposées. Par ses dispersions arbitraires, par sa pratique et, comme par ironie avec l’élargissement sensible des limites de chaque tableau dans des échanges et des confrontations entre phénomènes de composition et d’effets réputés expressifs, Jim Dine entraîne son travail dans un jeu d’approches et de réalisations désordonnées et intuitives. En résumé, une pure jouissance de Sujet à l’œuvre.    

       Dans la seconde partie de la galerie est réuni un ensemble de quinze autoportraits en couleur librement badigeonnés/tâchés sur toute leur surface. Chacun peut être vu comme une palette dont la forme serait un visage. Chaque fois reproduite à l’identique, la silhouette seulement esquissée de la tête du peintre utilisée comme un patern devient le paradigme d’un pseudo modèle de coloriage. Comme dans l’autoportrait à l’entrée de la galerie, les yeux comme la bouche sont chaque fois esquissés et peuvent donner le sentiment que l’artiste a cherché à compléter « son sujet » dans un geste de griffonnage synthétique. Sans les confondre, on songe aux séries de Monet ou de Warhol ; Jim Dine aurait voulu suggérer qu’on peut retourner sa peinture à son créateur : mon travail est comme tu ne me vois pas, si je suis à la fois le face à face que tu devines, j’émerge en plus sans contradiction des emportements du travail à faire. Je suis ainsi autant ce sujet fait de taches colorées où tu peux me reconnaitre que ces peintures sans borne aux allures d’émanations. 

 

Olympe Racana-Weiler chez Eric Dupont

        « Pas de narration, pas de figuration, seulement de la matière qui s’étale et occupe tout l’espace que l’artiste lui accorde » indique un texte de présentation. Les tableaux se déploient en peintures abstraites avec des ambiances plus ou moins végétales ou aquatiques. Ils sont exécutés au couteau à peindre, des gestes répétés de formes et de relief sont improvisés au gré des motifs apparents ou suggérés. C’est grand et, pour cela, ça accroche le regard, ça séduit grâce à une profusion visuelle aux accents faciles. Après quelques instants, aucun effet ne reste, rien ne perdure, tout se délite et retombe dans l’inconsistance, l’improvisé devient fabriqué et superficiel. Chaque œuvre se décompose dans des impressions de création seulement technique, sans concept ni souffle plastique.

 

Frédérique Loutz, galerie Papillon    

       L’exposition est titrée « Flip a coin » (Lancer une pièce). La dextérité et la liberté technique des œuvres peintes, dessinées ou réalisées en lithographie sont présentées comme magiques. De leur côté, les sculptures passent pour étonnantes.    

      Les usages de multiples techniques indiquent effectivement une agilité graphique, leur manière d’être à la fois spontanément mobilisées et accumulées dans un certain désordre assumé fait penser à des expérimentations. On s’efforce en conséquence de valoriser des choix de compositions difficiles, on considère avec attention des interprétations souvent plus techniques qu’expressives ou sémantiques/plastiques de motifs d’origine figurative, on estime têtue, volontaire et opiniâtre une esthétique apparemment scolaire… Sauf que, quand c’est pauvrement « mal peint », que ni la technique ni les effets plastiques ne font rire dans une complicité entendue, que quand rien n’étonne sur le fond ou sur la forme au point qu’aucune  éventuelle parodie esthétique où très peu d’« empreinte » ne vole au secours, le bricolage artistique « ça ne sidère pas ! » 

 

Chez Templon  rue du Grenier Saint Lazare, Gregory Crewson    

         De la photographie sur fond de peinture/cinéma. La plupart des œuvres s’appuie sur le paradigme d’un sous projet esthétique : dans l’abandon d’un paysage/environnement fictif aux allures de monde déchu, des personnages aussi immobiles que muets, dévêtus et paraissant désœuvrés semblent ne rien faire ou attendre. Les œuvres sont très fabriquées et amplement retouchées, des effets de montage et de « photoshopage » pointent distinctement le travail de montage de l’artiste et brouillent le mystère des images. Tout en songeant à des scénarisations picturales d’Hopper, des séquences filmiques de « Zabriski Point » ou « Paris Texas » on a en même temps du mal à oublier l’habileté et la culture artistique plastique-pictoriale de Jeff Wall ou de Jean Marc Bustamante (série Tableau 1978/82). C’est somptueusement imprimé aux encres pigmentaires, c’est parfaitement encadré, à la fois très pro. et en même temps surjoué dans un style « photo-art contemporain acquis ». Point, et bof !

 

« Premier choix ! Deuxième choix ! Troisième choix » par Claude Closky chez Laurent Godin    

         Des dizaines de dessins en noir et blanc imaginés à partir d’un/de geste(s) apparemment détaché(s) et anodin(s) littéralement griffonné(s), « anartistique(s) » dirait Derrida, ont été retravaillés sur ordinateur puis imprimés sur des feuilles de couleur au format A3. Leur production est répartie/dispersée sur trois gigantesques tables-étals dont la forme serpente dans la galerie comme des rivières cheminent dans un paysage. Claude Closky propose d’acquérir chaque dessin selon un montant conforme à un classement : Premier choix = 100€, deuxième = 200€ etc.  Le visiteur, collectionneur ou amateur d’art est invité à acquérir des images faites d’un, deux ou trois dessins purement graphiques tous dessinés comme des griffonnages. Sur chaque table, la cocasserie du dispositif mis en place épaissit l’effort de sélection requis par les acheteurs potentiels à l’aide de séries virtuelles de certains des dessins reliés entre eux comme une pseudo famille. L’installation, toute en sous-entendus philosophiques sur l’art et l’argent, instille un retour sur des pratiques conceptuelles et brille d’une ironie disséquante sur le système ou les valeurs reconnues de l’art marchandise. Dans la galerie, à travers sa théâtralité et son organisation en happening, toutes choses par ailleurs égales en la circonstance, l’ensemble de la présentation est esthétiquement beau à regarder et d’une humeur espiègle. L’ironie de Claude Closky n’en rappelle pas moins d’autres actions/manifestations d’Yves Klein ou de Hans Haacke, par exemple, dont le sarcasme a pu chercher à démonter les liens de l’art avec l’idée d’un placement financier. On fait subjectivement le choix d’une œuvre sans distinction particulière, faite d’un, deux ou trois griffonnages, on s’imagine détenteur d’une pièce unique revendiquée et reconnue par un auteur. Le but est atteint, la table se vide, le producteur a écoulé sa production, les intérêts sont partagés. L’artiste s’en gausse.

 

Pierre Mabille chez Galerie Fournier    

        Il fallait s’y attendre. Depuis des années que Pierre Mabille utilise pour son art pictural une apparence abstraite allongée en forme d’amande, il devenait évident qu’il continuerait son commerce en la démultipliant par analogies à toutes les occasions. Il l’interprète comme un modèle fragile, sensible aux images passées ou immédiates ou comme tout peintre cultivé et amoureux de son travail, comme un sujet propre à des dérives subjectives, voire des rencontres et des rimes éventuellement incongrues, voire un patern et une empreinte propres à satisfaire sa curiosité dans le travail. Cette fois, les clins d’œil en direction des peintres qu’il apprécie intimement se multiplient en échos subtils, en rendez-vous formels et imaginaires, en échanges-minutes, en points de vue personnels, en citation explicite d’une œuvre forte dans son panthéon artistique.     

         L’exposition intitulée «Variété » rassemble une série de dessins, des peintures et des livres de poèmes illustrés.     Sur le mur, les dessins réalisés au lavis déclinent des scénettes et des paysages habités semblant provenir d’albums anciens illustrés. De véritables micro-encyclopédies sur des rencontres et des considérations sur l’art et sa vie créative sont mises en situation et en images. Le jeu consiste à débusquer les amandes quelle qu’en soit la forme proche ou décalée et en même temps y reconnaître de multiples allusions à des artistes réputés et à l’histoire de l’art. Le style est espiègle et tendre, le ton est mâtiné d’enfance. Les citations apparaissent inattendues et questionnantes, la culture et l’humour du peintre lui permettent chaque fois de s’appuyer sur une opportunité spectaculaire de chaque référent.    

         Ailleurs dans la galerie, un vaste polyptique fait de douze tableaux de taille et d’orientation différentes décline le même plaisir de peindre en surprenant le regard. Les images d’amandes sont toujours là, mises en scène et en images selon des modalités de proximité et de clins d’œil ou d’hommage à des peintres aimés. Les peintures emplissent et en même temps débordent leurs supports, les amandes se chevauchent, s’entremêlent, s’agencent entre elles ou se distinguent par morceau et transparence. Jadis peintes par aplat, mises en scène dans des constructions architecturées ou impressionnistes, elles s’apparentent, cette fois à des mondes visuels imaginaires dans des atmosphères oniriques. L’artiste excelle dans les nuances chromatiques en initiant des effets de miroir et de réverbérations entre les formes et leur présence sensible. Les contours sont parfois irréguliers, ils manquent parfois de visibilité, tout est comme effacé, flou ou estompé, souvent provisoire et avec une fraîcheur d’esquisse. Pas d’anecdote, uniquement des faits créatifs de peintre. Il est encore possible de seulement peindre, d’engager et de faire parler la couleur seule, instaurer et faire rimer des sensations colorées dans des contextes à la fois poïétiques et poétiques. A travers sa pratique discrètement instaurative, Pierre Mabille articule des concepts esthétiques malins sur la nature et l’avancement rigoureux d’un travail de plasticien.    

         Les livres montrent une activité créatrice intense et continue. Affirmées depuis des années, les attaches du peintre avec l’écriture poétique et l’édition d’art affleurent dans des productions d’auteur complexes. Chaque livre accompagne l’exposition dans un ensemble choral où le talent littéraire de son auteur croise ses multiples sources d’inspirations plastiques. L’amande resurgit, s’emmêle de mots amusés, de trouvailles littéraires et d’illustrations. Dans « son atelier partout », l’artiste déambule, écoute et s’arrête, attend et repart, voyage, lit et finit par surprendre en peignant et en marchant à la fois.

Choses déjà vues et redécouvertes

20/12/2020

Abraham Poincheval aux champs sans Duchamp, Galerie Sémiose.    

     La démarche artistique d’Abraham Poincheval est engagée dans des aventures paradoxales. Bizarrement, elle est aussi individuelle, ludique et complètement personnelle que tragiquement contenue et parfois sans objet. Abraham Poincheval  aime échafauder des performances à la limite du non sens, confondre et défaire les mondes humains ou animaux, retourner ou confondre les modes de vie minérale ou palpitante. Il aime apparemment provoquer sans discernement la nature et les songes en les entremêlant de liens d’illustrations réciproques et illusionnistes. Sa production, formellement inattendue, semble en même temps chercher à réfuter une pensée réflexive ponctuelle ou d’envergure, quand bien même ses « œuvres » habitent spectaculairement leurs environnements d’expositions  au point de faire croire à des approfondissements ou à une évolution réflexive dans sa pratique. A travers sa dernière œuvre vidéo, Walk on clouds, initialement présentée à la Biennale d’art contemporain de Lyon en 2019, le performeur, tout à l’exécution littérale de son projet d’évocation, reproduit jusqu’à son paradigme un système borné et passablement usé où le rêve n’est que l’alibi d’un film sans décollage fictionnel. En répudiant toute transposition de forme, en intriquant l’idée d’un projet fictif avec son illustration à la lettre, jusqu’à se parodier sans le voir, Walk on clouds  apparaît comme un exercice de mémoire littérale. Quand l’idée du temps s’illustre, elle n’est qu’une contrainte de fait, rarement une perspective imaginaire. Inutile donc de chercher un débordement ou un oxymore dans ce travail, inutile de le croire fluctuant entre les idées qu’il présente ; ses référents fonctionnent terme à terme. Walk on clouds  ne mobilise pas d’exercice sur le vocabulaire visuel ou une recherche quant aux sciences de l’art, il les investit techniquement sans contredire leur définition commune : pas d’inversion de creux prospectif ou spéculatif, rien de particulier sur le Septième Art pourtant largement sollicité. Walk on clouds  est le film d’un « Indiana Jones » évanescent marchant dans les nues ; son ironie s’arrête là.    

          Le travail d’Abraham Poincheval n’est pas pour autant inconsistant. En quoi est-il alors intéressant hormis la pratique créative indéniablement spectaculaire de son auteur largement nourri des techniques de la performance ? Dans l’exposition, des dessins préparatoires symboliquement préparés/réalisés à la craie sur des tableaux d‘école rendent compte de programmes de travail et montrent des intentions. Tout, du graphique et du croquis préparatoire, est mobilisé, jusqu’à l’effacement et la correction ou le repentir stratégiques. On se souviendra tout au plus que sur la surface noire du tableau, l’image inversée à la craie blanche décalque plastiquement le creux d’une recherche en instance. L’artiste  s’exprimant sur son ardoise d’écolier n’accompagne cependant sa recherche d’aucune beauté graphique : il n’exerce pas de pression sur son travail visuel, n’engage à priori aucune esthétique de circonstance excepté peut-être un protocole de présentation reprenant l’environnement scolaire d’une classe. A sa façon et par comparaison, chaque « dessin » induit un objet plastique conceptuel en même temps et qu’une production de nature « anartistique. Partant, on songe à quelque production radicale conforme à l’art conceptuel des années 70… mais nous sommes 50 ans plus tard et il existe moultes reprises d’une telle approche devenue procédé au fil du temps. Plus prosaïquement, on peut y déceler les synopsis de productions éventuellement circassiennes et en ce lieu espérer du merveilleux. Et c’est ainsi qu’en se lovant in fine dans un ventre d’ours, qu’en campant in fine sur une plateforme étroite perchée à 10m du sol, qu’en habitant in fine (dans) une pierre ou en couvant in fine des œufs à la place d’une poule, voire en donnant, au moyen d’un film documentaire, l’illusion en trompe l’œil de marcher sur des nuages, l’artiste croyant « funambuler » ne produit en fait rien d’autre que des textes descriptifs qui ne sont ni des récits, ni des poèmes, ni des histoires… mais en revanche d’innocentes comptines.  

 

* L'"anartiste" est cet "artiste" qui prétend s'affranchir de toute instance extérieure et ne se légitimer comme artiste que par sa puissance créative ou performative. L'anartiste produit un événement qui ne transforme pas la forme d'un objet (le readymade) mais sa fonction. Son geste est de l'ordre de l'institution. Il institue une valeur. L'objet n'engendre plus du plaisir ou de la beauté, mais de la valeur, de la légitimité. (Jacques Derrida)

 

Guillaume Dégé, même lieu…   

         Guillaume Dégé compose et dessine des assemblages de formes organiques librement inspirées de la faune et de la nature aussi bien terrestre que marine, végétale ou minérale. Chaque dessin est finement exécuté selon un schéma horizontal, avec des effets d’aquarelles joliment acidulées ou encore avec des nuances graphiques et des effets de lumière suffisamment « abstractisés » pour se prêter à des silhouettes et des paysages vaguement minéraux et parfois flottants. Discrètement surréalisant (Yves Tanguy ou Max Ernst ou Jean Michel Folon ?), l’ensemble, très agréable, évolue avec sobriété en se limitant aux conventions d’images dessinées savoureusement sur des thèmes un peu oniriques entre réalité et interprétation personnelle.

 

« Un cabinet d’amateur » par Clémentine Méloi chez Lara Vincy    

           Rien de neuf, ni sur l’humour, ni sur le principe d’œuvres à contrainte d’esprit oulipien. C’est aussi léger qu’amusant et facétieux dans l’intention, comme convenu, cocasse et espiègle dans la présentation, mais in fine un peu lassant et sans originalité sur la forme. Rien à découvrir qui n’a déjà été songé et retourné ou détourné, rien qui n'a déjà été joué.. N’est pas Pérec ou « peintre calembourgeois » qui veut. N’est assurément pas Duchamp qui s’y croit non plus. Un vrai cabinet d’amateur !

 

A la fab Agnès B…    

         Deux expositions presque réunies en une seule. La première titrée « This is the England » est signée « The anonymous Project ». Elle se présente comme un théâtre sociétal fictif avec des objets, des environnements et des œuvres photographiques conçues comme des paysages habités. Dès l’entrée de la galerie, une œuvre intitulée : TV nation¬ est faite d’un empilement de téléviseurs datant des années 60. Chaque écran a été remplacé par une photographie illustrant un foyer populaire équipé du même genre de téléviseur… et d’un portrait de son habitant installé dans son salon. Chaque environnement est à la fois mis en perspective et mis en abîme dans son installation in situ, de sorte que les formes et leur contenu fusionnent à la fois esthétiquement et un peu psychologiquement. Il est sobrement question de revivifier une atmosphère et une époque, de réincarner ses acteurs populaires, et toutes choses égales de retrouver une pendule et réentendre des cœurs. Avec chaque téléviseur, l’image « rétro-instillée » d’une image «oubliée» revient symboliquement sous l’image d’ensemble de l’exposition d’aujourd’hui. Deux autres environnements sur le même thème sont également scénarisés dans la galerie : d’abord il y a la première l’installation sommaire d’une caravane de camping avec des images de vacances familiales et amicales projetées à l’intérieur en lieu et place des fenêtres. La seconde installation se présente sous la forme d’un salon-cuisine-fenêtre-ouverte-sur-l’exterieur reconstitué in situ. Là encore, un écran sur lequel des diapositives sont projetées sur le thème des vacances a pris la place d’un mur. Un climat rétrospectif embue l’intérieur d’une nostalgie de microsillons. Des sonorités pointent dans la confusion sensible des formes, des couleurs et des  matières entre elles…

       La seconde exposition intitulée « New Normal » rassemble une série de photographies en très grandes dimensions de Massimo Vitali. Elles représentent des environnements de vacances à la plage… Apparemment objective, chaque vue porte cependant les marques d’amples effets de recompositions/reconstitutions ; des retouches et des reprises marquées font en même temps songer à des effets de peinture. Passé cette référence de l’auteur à la photographie plasticienne, on conclut qu’à ses yeux, l’aperçu prime, confirmant chaque photographie dans son statut construction visuelle pas cachée. Il est encore question d’ambiance, il est encore question d’aura, selon la définition de Walter Benjamin.*     

       Sauf que dans la galerie, les deux expositions sont toutes deux mises en scène avec des marges d’expressions communes. « The anonymous Project » et Massimo Vitali s’appuient chacun sur des images assez générales et assez vraies pour être symboliquement regardées comme des panoramas, elles absorbent indistinctement le spectateur et l’espace de la galerie dans un mouvement entre illustration et échos, leurs valeurs d’ambiances finit de réduire leur production d’auteur à un fond expressif partagé.

        N’était-ce la proximité des images de Massimo Vitali avec des photographies de Martin Parr et chaque œuvre de The anonymous Project avec une possible installation d’Edward Kiennolz, l’exposition renvoie à des cycles d’images à la fois assez vraies pour être regardées comme des évocations plastiques.

      L’exposition semble une, elle décrit ce que les œuvres exposent et expriment, tout fait époque et poésie temporelle. Son théâtre mêlé de transparence et d’empreintes n’écarte ni le vu ni le perçu de leurs signes sensibles. Telles qu’elles sont évoquées ou réincarnées par ce halo esthétique par endroit spirituel, les années 60 apparaissent aussi délicates que diffuses.

 

* Water Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »

Deux expositions d'inégal intérêt…

31/10/2020

Un dossier ouvert sur « L’homme qui marche » à l’institut Giacometti.

 

        Giacometti et « L’homme qui marche ». On sait qu’il s’agit d’un Œuvre en soi, de sa conception à sa production, que ce thème de travail est un index quasi ontologique de son mémorial. Pour qui en douterait, l’exposition actuellement à l’Institut Giacometti indique qu’en plus de surpasser symboliquement l’artiste, le sujet l’ayant mobilisé d’une façon répétée, aucune des réalisations qui en ont découlé n’a dû le satisfaire suffisamment.

        Giacometti est aussi identifiable au thème de « l’homme qui marche » qu’à sa manière de dessiner, de peindre ou sculpter. Ses dessins, griffonnés et erratiques, semblent constamment sur une crête en dépendant à la fois d’une urgence et de l’indécidabilité de leur caractère d’esquisse. Toujours apparent, le temps semble chaque fois manquer et la fragilité de l’aperçu visuel l’emporte sur l’apparence figurative. Le graphisme de son dessin fait alors songer à la saisie de vues exécutées à l’aveugle sur une feuille, à l’abri des regards comme si la main dessinait dans une poche.

         L’exposition se veut un dossier ouvert autour de recherches préalables. Plus que des notes éparses et improvisées, plus que des croquis rapides, plus que des aperçus d’idées confuses, davantage que des indications juste crayonnées sur des supports de provenances diverses, les études dessinées pour et autour de « l’Homme qui marche » présentent une recherche de style approfondie. A pas mesurés autant qu’à bas bruit, les indications formelles et les variations de points de vue étudiés séparément dans chaque dessin par Giacometti instillent de multiples questionnements esthétiques ; les dimensions nuancées et parfois contrastées des supports parlent autant de recherches spécifiquement formelles que de connaissances étendues en science du dessin et de l’art. « L’homme qui marche » est une figure d’allure parfois maladroite, l’imprécision fréquente de sa silhouette interroge face à la vivacité du geste du dessin. Il n’est pas représenté se déplaçant exclusivement vers la droite ou la gauche, ce n’est pas un motif toujours isolé ou indépendant de tout extérieur ; souvent, il paraît révéler et faire image du vide autour de lui. Pour Giacometti, « L’homme qui marche » semble initier un perpétuel point de départ.

        Véritable Image en quête d’image, la facture, la netteté ou l’approximation permettent à Giacometti de varier les apparences plastiques dans des directions et des proportions telles que son thème devient un projet imaginaire et créatif illimité. Chaque silhouette parle d’incertitude  technique et de choix méthodologique par son inscription dans d’infimes tracés, ou en émergeant de multiples façons, parfois à peine et du seul point de vue optique. Le choix de privilégier certains détails anatomiques et illustratifs seuls ou en petits groupes, la possibilité d’utiliser toute la surface du support ou d’occuper par effraction la page d’un livre, tout cela constitue encore des aspects remarquables de ces recherches dont le graphisme du dessin ne reste jamais indemne. Occupé et possédé par la subjectivité de son thème devenu symboliquement figuratif, Giacometti use de l’anatomie de façon allusive. Pour la morphologie et les gestes de la marche, il invente des proportions expressives, procédant parfois par des disproportions transgressives. Chaque croquis pour « L’homme qui marche » happe le geste de son créateur dessinant, happe son regard sur les traits caractéristiques du corps en mouvement, happe la silhouette filiforme d’une créature et d’un être construit sur son apparence.

       Que ce soit sur un carnet, sur une feuille volante ou encore opportunément sur un livre, chaque dessin massifie ainsi l’image d’un personnage errant dans un pseudo désordre de tracés. Même vague et insatisfaisante, la vue d’un homme marchant pour aller nulle part semble t-il, est en même temps toujours là, étrangement incessante. Le graphisme des esquisses en lassis est conçu pour que son image demeure confuse. Les dessins préparatoires et en marge les sculptures de « L’homme qui marche » forment des vues d’hommes réduits à des aperçus simultanément enfouis et surgissants.

         Son propos, naissant et passager, parfois abouti quand il devient sculpture, régulièrement imaginaire dans chaque dessin et toujours pensé en mouvement, « L’homme qui marche » évolue comme un projet d’étude traversé par le temps et par l’espace. La présentation en miroir d’œuvres finalisées en volume et d’esquisses autonomes attire l’attention sur les risques de productions à l’esthétique tantôt suspendue et tantôt immatérielle. Cartier Bresson saisissant Giacometti traversant la rue d’Alésia sous la pluie ne s’est pas trompé : « L’homme qui marche » est un être accablé sans être résigné. Qu’ils paraissent fugaces ou appuyés, imposants ou minuscules, les dessins autour de « L’homme qui marche » sont des projets autonomes. Bien qu’ils évoquent parfois des repentirs, ils expriment aussi – et surtout – d’inépuisables besoins de reprises, de redémarrages. Giacometti a envie de dessiner un individu anonyme et universel en train de marcher, il a besoin de penser son attitude et la position de son corps en mouvement. Il lui aussi faut le projeter dans le temps sans fin d’un « plaisir au dessin »1, indéterminé et sans autre objectif qu’être par ailleurs une recherche sur le dessin. Placés sous l’égide de leur recherche ponctuelle, les croquis du projet de « L’homme qui marche » affectent d’être changeants et sans image établie, impermanents dans l’instant juste sensible de leur entrevision. Et pour cela passionnants.

 

1- Jean-Luc Nancy, Le plaisir au dessin, catalogue musée des Beaux arts de Lyon, éd. Hazan, 2007

 

Cipian Muresan : « Incarnation » Galerie Hussenot

       La reprise en plâtre et la réinterprétation à l’identique d’un portrait sculpté monumental de Lénine peuvent-elles s ‘apparenter à un travail artistique simultanément critique et original ? La présentation de Ciprian Muresan pèche par l’inexpressivité d’une installation et de dessins où l’auteur s’essaie à la parodie sans la distance parallèle et nécessaire d’une perspective ironiste. In fine, au lieu d’apparaître conceptuelle (un tant soit peu), l‘exposition, assez spectaculaire par les moyens mis en œuvres (et pour cause !), s’apparente aux exercices laborieux d’un « visionnaire » limité en sculpture et peu imaginatif en dessin. 

Des expositions dans Beaubourg et à côté…

20/10/2020

Mark Tobey, galerie Jeanne Bucher Jaeger

       L’étendue de son talent pour faire sens du foisonnement et de la dispersion esthétique en peinture est impression-nante. Chaque œuvre pépite d’intimité, en épandant la plupart du temps sans bruit sur de simples feuilles de papier des beautés totalement spatiales et intemporelles. L’occasion est belle d’apprécier la profondeur tranquille du souffle artistique de Tobey.

 

Martin Barré à Beaubourg

         Que de rigueur et d’éthique créatives ! La radicalité de son parcours et de son travail artistique me touche d’autant plus qu’à son époque il est esthétiquement marginal, à l’opposé du culte duchampien et à l’écart des formalismes de la « peinture-peinture » plus ou moins matissienne et américaine (Newman, Pollock, Kline, De Kooning, Motherwell etc.). L’art de Martin Barré procède d’une abstraction conceptuelle qui ne se dissimule pas d’en être et qu’il revendique en la réalisant plastiquement à sa manière inimitable. Son humour technique n’est pas en reste. Il y a de la jubilation et de l’ironie dans les façons qu’a Martin Barré de considérer l’objet du tableau, d’ironiser sur son importance en le marquant de façon aléatoire ou parfois presque désinvolte quand il peint avec une bombe aérosol. Détachement et légèreté apparente encore quand il illustre en acte sa conception esthétique et efficiente de la peinture à travers de subtils conseils suggérés au spectateur de changer régulièrement d’horizon par rapport à l’histoire de son art ou par rapport à l’œuvre qu’il regarde.

           Chose peu fréquente, les commentaires à l’appui des différentes sections de cette rétrospective sont d’une sobriété et d’une intelligence analytiques et pédagogiques exemplaires. L’hommage rendu au peintre est ainsi parfaitement équilibré.

 

Catherine Meurisse, au même endroit, à la bibliothèque

        Le talent et la sensibilité et l’humour et la culture et la vitalité et la verve et la pudeur et l’ironie et la liberté et la légèreté et la perspicacité créative d’une dessinatrice formidablement humaine. Comme Cabu, comme Luz, comme Riss, comme Charb, comme Honoré, comme Wolinsky, comme Tignous, comme Gébé, comme Willem, comme Reiser comme Gottlib etc. Je suis Meurisse.

 

Gérard Traquandi galerie Puttman

           Les œuvres exposées sont d’une diversité questionnante avant d’être simplement belles. La persistance du peintre à vouloir entremêler les sujets de certains de ses dessins et de ses gravures en surajoutant à leur motif un brouillage échevelé ou des lassis de lignes jusqu’à sembler occulter leur thème creuse le sens de son travail sur les intelligences de la « forme claire ». Dans cette perspective (ou sous cette aura) on conçoit mieux la transparence assourdie des vastes tableaux monochromes (exposés en 2018 à la galerie Laurent Godin) avec un sous-sol graphique pouvant évoquer ou faire suite à un paysage mental. Partant, que les sujets soient à l’origine des thèmes religieux ou qu’ils suggèrent un espace végétal, qu’ils soient inspirés par un tableau ou par un brin de nature, rien ne résiste aux gestes de l’artiste attentif aux modes d’inscriptions et à l’incarnation de ses moyens dans son travail plastique.

        Ces recherches et ces croquis transformés en éditions limitées permettent d’apprécier les deux directions corres-pondant aux mouvements simultanés de l’œuvre à faire et de l’œuvre en train. L’objet du regard de Traquandi devient paradoxalement aussi intuitif et provisoire que lisible. Stéphanie

 

Saadé galerie Anne Barrault

        « Choses sues et oubliées ». Le thème du temps traverse les œuvres simultanément sculpturales, conceptuelles et théâtrales. Difficile de ne pas songer aux pratiques conceptuelles des années 70/80, avec leurs mises en espace d’objets banals à la fois détournés et retournés. L’intention qu’a Stéphanie Saadé de contrer l’artificialité ou la chosification des œuvres en disruptant leur paradigme culturel et expressif s’illustre parfaitement à travers leur installation plastique dans la galerie pour le coup elle aussi retournée et scénarisée. 

Des galeries, des œuvres et diverses occupations artistiques…

01/10/2020

Armelle Sainte Marie : « Garden Party », Galerie Fournier

         L’exposition forme à la fois un itinéraire rétrospectif et un projet artistique apparemment critique de l’artiste sur ses créations. Certaines peintures composées d’un sujet minéral peint comme un portrait orientent le style très travaillé de chaque œuvre parfois vers une iconographie vs une iconologie d’aspect onirique. D’autres peintures s’appuient sur des compositions informelles qui mélangent esthétiquement des effets matiéristes et gestuels. Qu’est ce que l’artiste semble penser de sa pratique ou du fait de produire des images vs des œuvres visuelles ? Les cheminements figuratifs ou non figuratifs et leur esthétisme sans scénarisation affirmée éclairent faiblement ces productions tantôt un peu peintes façon expressionnisme et tantôt un peu façon abstraction lyrique. C’est joli, mais c’en n’est pas. Ça fait rêver sans être étrange. Mais c’est joli !

 

Jean-Pierre Pincemin Galerie Dukto

         Une idée suggestive du parcours artistique d’un artiste aussi discret qu’honnête et essentialiste avec la plasticité de son art. L’occasion est donc belle de revoir l’engagement du peintre pour certaines théories défendues par « Support-Surface », d’approcher sa créativité simultanément particulière et picturalement somptueuse, à la fois subtilement traditionnelle et fresquiste ou théorique-critique du fait artistique : une production foisonnante tout en altérité assumée. Après la rupture « idéologique » avec le groupe, le style de Pincemin évolue en se diversifiant par l’appel de l’orient, l’envie de revoir comment le figuratif peut malgré tout fonctionner en peinture et comment une idée d’expression peut se réamorcer dans la jouissance empirique du travail d’art, jusqu’à peindre en sculptant et imaginer des hybridations aller-retour de meubles-sculptures. Dans le bel espace de la galerie, les peintures sur toile libre densifient et libèrent l’espace des murs, d’autres œuvres réalisées sur châssis se concentrent sur un sujet et parfois se rapprochent de recherches plus proches de l’objet ornementale ou de l’image expressionniste. A mon sens, ce ne sont pas les meilleures. Mais bon sang que ce peintre a été franc avec lui-même !

 

Galerie Derouillon, Diane Dal-Pra, peintre.

          Des personnages peints assis, apparemment repliés sur eux et qui sont pour partie occultés par des vêtements qu’ils portent comme des couvertures et qui les cachent aux regards. Pas de visages, peu de corps incarnés non plus, plutôt des « tas humains » vaguement dégrossis, anonymes. Peu importe qu’il s’agisse de femmes, qu’elles soient des déesses, des roturières ou des paysannes… Peu importe à l’artiste d’indiquer qui sont ses personnages ou comment ils s’intitulent. Peu lui importe, semble t-il aussi, que pour le spectateur, leurs représentations occupent littéralement tout le format de chaque support jusqu’à parfois combler et presque étouffer l’image. Peu importe encore que certains détails d’expression en relief suggèrent une impression de bas relief en créant sur la surface une étrangeté plastique. L’effet esthétique prime sur chaque tableau et nivelle la surface de la toile. La série s’intitule « Aqua in bocca » : « Motus et bouche cousue. » Exécutés sans trace de recherches ni disruption imaginaire, les tableaux se déclinent en personnages diversement stylisés pour des images artificielles.

 

« Tritonnades & Coélacanthe » Blackslash Gallery

          Des dessins illustratifs à l’improvisation mal assurée, parsemés d’écritures infondées et bavardes faute d’être plastiquement utiles aux images, des sculptures animalières hybrides amusantes mais qui font regretter les univers fantastiques et créatifs de Gustave Doré ou de Lewis Caroll. Le thème de l’Odyssée parcourt l’ensemble, paraît-il… Ce serait bien que ça décolle en étant conceptuellement un peu plus étayé.

 

Robert Barry galerie Martine Aboukaya

          Robert Barry fidèle à lui-même et à son art conceptuel : les paroles, les mots, et les phrases en suspens sont les index et la signature visuelle répertoriés de son œuvre. Les référents s’incarnent comme à l’habitude dans des « immatériaux » et n’apparaissent que sous l’aspect de textes conçus comme les éléments provisoires ou flottants d’installations in-situ. Dès l’entrée de la galerie, des lettres et des mots découpés dans un support argenté scintillant apparaissent ou émergent dans un désordre calculé sur les murs ou le plafond ; ils sont aussi disposés souvent sur deux surfaces en angle. Dans la salle principale, des petites toiles de couleurs vives peintes en aplat et présentées en carrelages disjoints, quelques mots épars font survenir des textes imaginaires sur des fonds monochromes vivement colorés… Parfois, certaines de leurs lettres occupent la tranche marquant l‘épaisseur présumée silencieuse d’un support en débordant « accidentellement » sur leur surface ou le mur extérieur mitoyen… Le mode d’expression en apparence toujours impersonnel de l’artiste mobilise encore des techniques d’expressions mécaniques où tout effet sensible et artistique est banni au profit d’une intention abstraite faisant office de démarche. Chaque dispositif est pétri d’allusions syntaxiques, de combinaisons interprétatives ou sonores, de rappels discrets d’aventures plastiques devenues historiques, comme celle des mots dans la peinture, l’usage tactique du all over ou du débord suggestif, l’accident ou l’imprévu vs l’improvisation iconique en partie issue de collage (avec toujours une possible relecture du détail dans la peinture)… Comme pour la plupart des artistes conceptuels d’importance, l’art de Robert Barry s’avère plus méditatif que logique ou littéral. Dire qu’il a pour le spectateur une pratique exigeante mais  aussi facétieuse est plus mesuré. On songe pour cela aux interventions scénaristiques, lexicales et sonores de la poésie sonore, on s’amuse de retrouver l’humour et l’acoustique malicieux de  John Cage, la fibre performative de Ghérasim Luca ou de Bernard Heidsieck pour les assonances.

         L’exposition ne déroge à aucune des limites créatives de l’artiste, sauf à pointer avec réactivité qu’aucun contexte ne saurait le contraindre et qu’il peut toujours percevoir son travail comme une manifestation poétique. Le « white cube » de la galerie devient plasticité chimiquement pure ; chaque intervention de l’artiste s’y double de déclamations assourdies et fait songer que dans l’espace ou le temps, tous ses mots peuvent être symboliquement une peinture rupestre où sourd un texte filigrané dans l’épaisseur d’une page de calque

 

Louis Soutter galerie Karsten Greve

           Profondeur d’un esprit bouleversant d’imagination expressive et artistique. Les dessins aux allures d’images en contrejour de personnages semblant danser bouleversent le plus. Par leur spontanéité manifeste et leur quasi absence de programme de composition, les autres œuvres (portraits, scènes visuelles improvisées etc) essentiellement graphiques, curieuses par le geste logorréïque et la technique envahissante de l’artiste, se révèlent finalement confuses et interrogent davantage sur le psychisme insaisissable de Soutter.

Des galeries reprennent de la «voie»…

15/09/2020

Thomas Levy-Lasne sur la voie du non sens, Galerie Les filles du Calvaire

         Thomas Levy-Lasne a choisi la figuration, versus l’image analogique, versus la répétition du même, versus la technique réaliste, ultra réaliste même, voire hyperréaliste… ni plus ni moins et, semble t-il surtout rien d’autre.

          Organisée en deux temps, l’exposition intitulée « l’asphyxie » (!?) réunit une production dessinée au fusain et des peintures illustratives. Régulièrement inspirés de la photographie, les sujets bien que divers des peintures, leur composition, bien que limitée à l’objectif de l’appareil, leur esthétique ou certains de leurs aspects visuels, tous les thèmes font de loin songer à des œuvres réputées (Degas, Seurat, Courbet, David etc.). « Pas de lien affirmé ou présumé » me précise toutefois le peintre qui, ne cache cependant pas non plus une attirance pour « la peinture ancienne du XIXe »… Plastiquement, tout fonctionne sur la ressemblance et l’exécution parfaite propre aux reproductions analogiques, rien ne dérive ailleurs que sur la similarité de l’œuvre avec son modèle. Doué d’une technique aussi étrange qu’habile, frappée « au coin du trompe l’œil » en simulant l’aura de nettetés photographiques purement mécaniques, les dessins brillent d’une répétition irréprochable.

       A l’étage, changement de gammes ; les œuvres, toujours inspirées par la photographie sont picturales. Le style est moins photographique et plus illustratif, l’expression visuelle reste toutefois neutre et descriptive. On devine parfois des vues incongrues et des mises en scène forcées, des univers mêlés d’instantané, de banalité ou d’amateurisme, on s’interroge sur leur présence : l’écart qu’elles induisent avec des enregistrements accidentels, un « clic-clac » hasardeux. On tente des relais avec la manière « insipide » dont l’œuvre est peinte, on cherche une transgression allusive. Aucune pensée disruptive ne s’ouvre, les images ne semblent qu’agrandies et répétées depuis leur modèle.

         Qu’il s’agisse de l’artiste ou du spectateur, les suffisances programmatiques des œuvres ne ren-voient pas à un regard critique sur un quelconque sujet. Aucune transgression conceptuelle, formelle ou métaphysique et quelquefois facétieuse propre aux artistes hyperréalistes d’il y a un demi siècle dont l’artiste semble vouloir s’inspirer (Jean Olivier Hucleux, John de Andréa, Duane Hanson, John Kacère voire Gérard Gasiorowski etc.) ne trouble ces travaux dont l’absence de fond finit par manquer singulièrement. Où est l’intérêt créatif du labeur de ces productions ?

 

L’ordre imaginaire et intellectuel d’une peinture en marche.

           Les compositions picturales de Daniel Mato sont peintes sur toile de coton non préparée. La poro-sité du matériau sert au peintre à esthétiser l’imprégnation des couleurs et de produire de multiples effets de transparence et d’aspect aquarellés, de mélanges par superpositions ou fusions des formes entre elles. Extérieurement, les œuvres « parlent » de polychromies aux accents environnementaux et décoratifs, d’un évident plaisir visuel. Incidemment, elles apparaissent aussi comme des architectures et des dispersions ou des accumulations esthétiques autour desquels on imagine qu’aucun besoin de sujet ne s’impose, que seule une déconstruction possible (et statutaire ?) du tableau et de sa surface intrigue le peintre.

        Tout paraît architectural, rien ne réfère à autre chose de la peinture quasiment seule. De façon encore plus factuelle, on observe que l’artiste improvise des assemblages de formes vaguement géométriques, que ces formes ont été vaguement découpées et tout aussi vaguement disposées à l’aide d’une technique de pochoir à laquelle le street art nous a habitués. Chaque composition flotte comme si elle était en suspend,  comme si, attiré l’image de l’instant, l’artiste cherchait à saisir dans un passage, une vue possible de son apparition. Partant, qu’ils s’agisse de teintes colorées ou de dessin tout semble esquissé sinon expérimental, ou en jeu… Chaque œuvre sourd d’une envie du peintre d’en découdre avec l’aventure picturale.

            L’impression d’une pratique intellectuelle et en même temps aventureuse de la peinture ne s’arrête pas là. Chaque œuvre tient objectivement de ses apparences d’essais, les bords des formes sont imprécis, ça et là flous et irréguliers, chaque limite donne l’impression d’être hésitante, on ne sait pas si les formes sont pleines ou en réserves. Les compositions concentrées des puzzles empiriques et sans sol apparent, (ou par passion de l’artiste) allusivement guidées par quelque lien secret avec des recherches de Matisse ou Shirley Jaffe parlent de vide. Aucune forme colorée ni aucune partie non peinte des toiles n’apparaît résolument solide ou évoquée. On subodore à nouveau des questionnements de l’artiste sur les fonctions plastiques éligibles à l’incarnation esthétique du tableau, voire la place sensible et interrogative du spectateur face à des abstractions supposées aussi sensibles aux priorités accordées par le peintre à des formes et des couleurs « en leur ordre assemblées ». On songe encore à l’idée que l’artiste revient sur des liens historiques avec des pratiques associées au groupe « Support-surface ».

           Daniel Mato admet en même temps s’inspirer et répéter ou faire discrètement usage de formes-signes dont il espère qu’elles serviront d’index ; il admet aussi engager un savoir faire pictural et troubler l’attention du spectateur. Leurs (ré)apparitions ou de leurs (re)découvertes accidentelles interpellent et l’artiste ne s’en cache pas. Autre transgression aux compositions formelles abstraites qu’on pensait prioritaire sinon exclusives, à quel monde répondent ces motifs linéaires en forme de lignes serpentines qui pullulent et se superposent ou qui s’insèrent et s’emmêlent comme par effraction parmi les formes découpées et assemblées en puzzle ? Faut-il les voir comme des contours fragmentés, qui parfois surgissent ou parfois sont oubliés et mal effacés ? Sont-ils les échos lointains d’une adhésion à un art visuel qui n’aurait pas définitivement enfoui l’image ?

         Par l’abondance de ses paradoxes, ce travail à première vue seulement abstrait flirte avec le spontané et le retour questionnant et des « oublis » supposés et imaginaires. Il déroute sans trancher par la sureté stylistique de ses process mais aussi surprend par ses hésitations et des choix esthétiques entre apparence décorative, recherches plastiques visuelles et créations d’apparences. Daniel Mato assure que la peinture doit être questionnante. Bien vu !

 

Art Paris 2020, version réouverture…

      Deux œuvres à la fois poétiques, somptueuses d’intelli-gence et de culture plastique de Jean Michel Alberola chez Templon (la galerie annonce une exposition du peintre à Paris pour mai 2021) et un ensemble (évidemment) très différent mais du même niveau d’engagement esthétique d’Edi Dubien chez Alain Dutharc… Dispersées dans le salon, des œuvres d’Hartung, pour certaines majestueuses  et un magnifique ensemble pictural d’une culture esthétique incroyablement sagace de Magnelli Galerie Lahumière… Des compositions intelligentes et créatives de Tania Mouraud chez Claire Gastaud et de très très belles nouvelles grandes peintures de Carole Benzaken, et encore « Lady Brush » : ce sublime et imposant portrait photographique redoutablement plasticien réalisé par Valérie Belin galerie Nathalie Obadia… Partout ailleurs des chefs d’œuvres isolés (Arpad Szenes, une « tête » de Giacometti, quelques Poliakoff admirables, des Télémaque et des Degotex époustouflants, de l’espoir artistique et une chouette idée de clin d’œil à la ville de Paris, intitulé « Paris mon amour » chez Lara Vincy… Ailleurs, un peu perdues ou livrées au hasard, des productions aux contenus souvent vagues, voire d’un inintérêt monumental que des galeries aux ambitions limitées et pour lesquelles les qualités plastiques semblent devoir relever de quelque truc technique ou visuel qui font art contemporain…

 

Edi Dubien en direct, Galerie Dutharc

          Voir avec : « intelligence et justesse plastique », « finesse des compositions », « Question nature » (ne négliger aucun sens du terme « nature » et problématiser ses référents en faisant preuve d’humanité) », « culture » (personnelle…et partagée).

 

« Eau-cactus » : Baptiste Caccia et Jean-Baptiste Lenglet Galerie Escougnou

        Que peut apporter le numérique à la peinture ? Si, comme cette expo d’images abstraites et très techniques le laisse penser, le propos se bornerait à reconduire des effets de la seconde, la réponse est « rien de noble ».

        Que doit la peinture au numérique ? D’après ce qui est exposé, des questions légitimes sur son histoire ou à défaut certains artistes troublants quant à l’usage de l’analyse sans écarter la possibilité d’images esthétiquement plaisantes. En dehors de ça, la créativité des techniques sans cesse actualisées de montages plastiques de Rauschenberg.

        Peinture et numérique doivent-ils demeurer séparés voire étrangers et s’étonnant l’un l’autre ? Depuis plusieurs années, l’artiste Mathieu Crismermois s’intéresse avec humour et beaucoup de réactivité créative aux nombreux horizons et lignes de fuites qu’ouvrent étrangement ces deux perspectives artistiques quand justement on les oriente l’une par rapport à l’autre. Sans être tout à fait seul ou se croire le premier, à l’inverse de ce qui est montré ici, il ouvre des pistes avec force sinon originalité.

 

Edward et Nancy Kiennolz en mode rétrospective chez Templon, rue du Grenier Saint Lazare.

           L’ensemble des œuvres incite à apprécier autant la fabrique du talent que celui d’associer des idées abstraites dans des compositions artistiques narratives complexes. La plupart du temps monumentales, les œuvres se déclinent en reliefs et sculptures faites d’assemblages, se déploient en retables, s’exposent en vanités fantasmatiques, sont proposées sous forme d’installations en parties scénarisés comme des happenings, se déclinent en crucifixions ironiques et grotesques… On voit des autels, des cabinets de curiosité et des vitrines, des décors de théâtre et d’opéra, des cases isolées de BD et des courts métrages, on voit de l’art figuratif et illustratif et des visions fantasmées. On admire la dextérité des deux artistes en même temps que leurs savoirs faire et leur sens des rapprochements, l’humour sarcastique de détournements ou retournements suggestifs. Apparemment bricolé à partir de rebuts et d’objets abandonnés, leur travail, qu’on sait historiquement liés au pop art, fait vivre et revivre l’originalité de multiples moments de recherches et d’inventions plastiques audacieuses.

 

Pierre et Gilles chez Templon rue Beaubourg

         Le duo poursuit son travail artistique dans le style clairement ironique et tendre et la culture artistique populaire qu’on lui reconnaît. Son univers est l’image kitch du portrait : ses références à la fois revisitées et fabriquées à partir d’une rencontre  iconique avec « son autre-peut-être ? ». Si les thèmes qu’ils affectionnent et leur art des images peuvent paraître sans surprise, et ils le sont assurément vu les leur pratique et des codes visuels qu’ils reprennent inlassablement, ils en diffèrent aussi par l’esthétique des œuvres dont les encadrements sont toujours évocateurs d’un imaginaire sans limite. Dès l’entrée de l’exposition, leur autoportrait en brocanteur et en vagabond donne d’ailleurs du sens constructif à leur inventivité par leur autodérision et leur goût immodéré pour les beautés justement hors cadre ou réputées sans histoire.

Encore quelques galeries déconfinées…

09/07/2020

Vincent Bioules Galerie La Forest Divonne, rue des Beaux Arts

           Les tableaux exposés traitent du thème de la série, un peu comme les cathédrales de Monet font réfléchir sur l’idée ou l’illustration du paysage en peinture, voire la plasticité de l’idée de variation en art. Ici, le paysage est celui d’un lieu-signe situé entre Montpellier et Palavas, en l’occurence la vue particulière de la lagune à l’endroit d’une maison isolée et d’une presqu’île en forme d’étroite langue de terre.

         Les compositions diffèrent peu d’un tableau à l’autre, exceptée la hauteur de l’horizon. De rares tentatives de réflexion sur les objets figuraux (nuages, reflets, lumière ponctuelle, éventuellement une barque) suggèrent des essais de refondation du thème. Techniquement, grâce à une place prioritaire accordée à un badigeonnage mural proche de la fresque, chaque œuvre affiche sans faille la planéité de son support. Un style à la fois expressionniste et abstrait emporte certaines peintures dans des apparences plastiques énormes et pour cela réjouissent l’œil et l’esprit. Partant, quels que soient les tableaux, l’artiste rend à toutes ses potentialités visuelles une plasticité ouverte à la peinture en laissant de côté l’image seulement analogique et en se réappropriant avec audace la part aussi tactique qu’imaginaire de l’art.

       Sur ces points hors de portée de l’idée de variation inventée par Monet, la peinture moins expérimentale et réflexive de Bioulès paraît molle. Faute d’être construites autour d’un regard en quête de profondeur, l’intérêt des compositions s’étiole à cause d’un geste qui ne sert qu’à recuire et resservir de la même façon des solutions déjà balisées. De sorte qu’au lieu de sidérer, cette peinture paraît s’épuiser dans le spectacle ancien et éculé de sciences de l’art n’évoluant qu’en surface. Cette peinture occupée par la satisfaction d’une beauté d’agrément simplement mural vit d’un plaisir de peindre respectable mais esthétiquement sans crêtes ni précipices. 

 

« Cette chemise » par Olga Theuriet galerie Arnaud Lefèbvre, rue des Beaux Arts

           Deux approches divergentes du même sujet : le vêtement éponyme et la feuille qu’on plie sur elle-même pour former une enveloppe. Cette seconde entrée constitue le projet créatif de l’artiste et les œuvres exposées.

        Faites de papiers noir et blancs de diverses textures, ces dernières se présentent sous l’aspect de feuilles blanches pliées/dépliées géométriquement, avec en leur centre un assemblage informel d’aspect constructiviste. Chaque proposition évoque des sortes d’échantillons de tissus, comme les éléments dispersés d’un patron de couturier. Autour de cette composition, les plis de la feuille initiale dessinent un cadre traversé par des réseaux aux allures de cicatrices. Rien n’indique que ce cadre/réserve soit volontairement lié à l’assemblage central et qu’il forme avec lui un dispositif cohérent. L’exposition s’épand en associations abstraites de papier, serties par une zone neutre/blanche stylisée faisant corniche. C’est esthétiquement assez beau, aérien parfois lorsque la légèreté des papiers est apparente… Sur le plan plastique c’est moderne ; d’un point de vue créateur, c’est sans risque.

 

« L’arc en ciel de la gravité », galerie Poggi, rue Beaubourg

           Excepté un intéressant projet sur papier de Sam Francis, une très belle étude de Simon Hantaï et un grand tableau raté et affreux de Jean Messagier, rien à creuser.

 

Christo et Jeanne-Claude à Beaubourg.

            Beaucoup d’œuvres peu connues de l’artiste en sculpteur et en performeur. Sa méthode est globalement limpide à suivre. Avec ses évolutions et ses variations surprenantes ou subreptices, on la découvre également pleine d’ironie et de créativité personnelle, éloignée des Ready-Made de Duchamp, surtout, quand bien même des rapprochements purement historiques convaincraient d’une temporalité partagée. La moitié de l’exposition revient sur le projet du Pont-Neuf empaqueté. Retour sur une émotion à la lettre monumentale et sur un projet aussi antiquement beau que spectaculaire dans le paysage. En marge, on (re)découvre un dessinateur classique dans sa conception des formes et du dessin, talentueux et très mobile par rapport à leurs apparences plastiques. On surprend aussi un artiste songeur et enfantin quand il s’agit de jouer avec les regards des spectateurs, capable de malices dès que l’idée d’un souvenir visuel émerge. Dans l’exposition, un film sur l’histoire du Pont-Neuf empaqueté est à voir absolument : il montre comment, pour Christo et Jeanne-Claude, leur audace entre croisements avec le politique, le culturel et l’artistique, fut un temps parfois risible ou dérisoire, finalement et infiniment joyeux. 

Quelques galeries déconfinées…

19/06/2020

Chez Galerie Thomas Bernard…

           Olivier Masmonteil peint l’art de bien peindre techniquement avec dextérité. Il s’évertue à produire assez d’effet de dessin et de couleur pour faire art avec goût. Il produit spectaculairement les preuves d’une culture artistique assurée, exerce avec compétence le rôle de l’artiste prêt à servir la fonction à la fois décorative et d’agrément du tableau. Le réalisme de ses œuvres, toujours des paysages, est convaincant, et pour tout dire indiscutable. Avec ses changements formels d’apparences, sa palette d’aspects esthétiques est plaisante. On assiste partout à une insatiable envie de styliser les images par d’autres images esthétiquement étonnantes, avec le souci de confirmer toujours l’expression picturale par le geste virevoltant du pinceau et par extension, par l’action démiurgique de l’artiste. Mais ça sonne creux et seulement habile ou inconsistant. L’ensemble se borne à une recherche et des ambitions artistiques superficielles. On serait ravi que cette peinture soit un tant soit peu traversée par un questionnement plastique autre qu’une simple transformation visuelle, qu’elle exprime moins de certitudes et plus d’aventure intérieure face aux sujets et à la peinture ; qu’à la place d’un tachisme vaguement oriental et d’une gestualité de façade, le peintre s’interroge sur leur impact et sur ce que ça fait vivre dans le tableau. L’artiste, acharné à rendre sa peinture conviviale ne semble avoir comme projet que de séduire sans risque, s’y complaire et espérer faire moderne alors qu’il fait joli. L’exposition s’intitule à juste titre et sans concept « Le voile effacé ».    

          Même galerie, second espace, les peintures « métalliques » de Kevin Rouillard. « Soudure et mayonnaise » ça s’intitule. Sculpture et plus ou moins installation ou encore œuvres monochromes ? Reste à apprendre à monter la mayonnaise.

 

« Un mouton dans la caisse », galerie Dutharc

          « Des dessins et uniquement des dessins » annonce la galerie pour sa réouverture… D’abord la beauté subtile, étonnamment artistique et formidablement humaine des œuvres d’Edi Dubien…

 

Jérôme Zonder chez Nathalie Obadia

            "D'autres" dessins sur papier inspirés de l’actualité, de la presse, de la photographie, le tout reproduit et plus ou moins combiné dans des assemblages imaginaires. Les dessins très tactiques présentés naguère à l’Ecole des Beaux arts de Paris bluffaient par la séduction esthétique et la technique/tactique habilement reprise d’œuvre en œuvre.  Pour cette nouvelle exposition, les supports, les outils et les moyens restent ceux du noir et blanc et du fusain. Tout en conservant les avantages expressifs de la première recette, les références techniques marquent cette fois un changement en incluant ou en recapitalisant sur des pratiques plus traditionnelles, voir académiques. L’ennui est que le bluff prend une tournure désavantageuse. Les savoirs faire du dessinateur s’avèrent inconsistants ou plastiquement limités et certaines perspectives de son art virent au factice.

Re samdi, c’est encor galri d’ar…

05/06/2020

Jacques Grandjean, galerie Mercier et associés, 3, rue Dupont-de-l’Eure

         Passée le porche tout en profondeur de l’immeuble, la galerie apparaît davantage comme un site que comme un ancien atelier industriel reconverti en espace d’exposition. Les murs, dont la peau desquamée ouvre sur un palimpseste d’histoires, confinent à des profondeurs humaines. En y exposant ses dernières peintures, Jacques Grandjean ne pouvait ignorer qu’il y ajouterait sa vie d’artiste et, pour le spectateur découvrant son travail, autant d’histoires imaginaires.

         Jacques Grandjean aime les paysages simples. Une maison avec une porte bien visible, un ou quelques arbres à mi-chemin entre des peupliers plus ou moins agités par le vent, des torches de fumée cotonneuse incertainement montante entre les courants d’air : tout cela imaginé à l’aide d’une tache posée dans un geste ample et abstrait lui convient. L’artiste affectionne aussi les vols d’oiseaux justes esquissés, les ombres portées quand, imprévues sur les murs de son atelier, elles projettent les huisseries et le réseau métallique d’une verrière.

      Jacques Grandjean compose ses paysages sur des cartons d’emballage sobrement détournés de leurs usages, les oiseaux précédemment évoqués y volent poétiquement. Les œuvres exécutées sur les boîtes dépliées occupent sur la surface disponible la même importance esthétique, qu’une installation prend à partie dans n’importe quel site. Sa pratique puise dans des gestes immédiats et apparemment anodins, elle puise aussi dans l’expansion suggestive et lyrique de la peinture, et encore aussi dans ce qu’il faut pour éviter les contours. L’emploi de couleurs sombres et terriennes, plus allusives que descriptives, presque toujours intérieures, tout cela fait que les motifs évoluent comme des songes. Sur la surface des murs, partout où la peau semble manquer, Jacques Grandjean stylise des fenêtres et des extérieurs où filtre avec discrétion et subtilité son travail d’atelier.

        Le geste du peintre n’est pas seulement « anodin », il est aussi habité par une culture artistique à la fois paradoxale sur ses thèmes et ironiste par leur articité. Ironiste même dans ses paradoxes, cette culture maline l’est par ailleurs à travers leurs combinaisons. Chaque sujet représenté ou les taches qui ne doivent qu’y faire penser, voire leur mode de présentation parfois teintée d’in-situ sont prévues pour être techniquement ni informes ni analogiques : elles répondent par la création parallèle de signes qui se répondent entre eux ou qui rebondissent comme un caillou plat lancé sur une eau calme envoie des images de lointains. A l’intérieur de l’ancien atelier industriel, les œuvres habilement dispersées cessent d’être sans perspectives pour se transformer en instants de stupéfaction et souvent d’émerveillement.

      Et précisément, investi par son travail aussi spontané qu’inattendu et enfantin, l’artiste a voulu repenser à sa manière l’entrée de l’exposition à travers une installation monumentale entièrement faite de boîtes de carton préalablement recouvertes d’oiseaux virevoltant et de reflets et ombres portées évoqués plus haut en parlant de verrière. L’entrée vers la galerie devient corridor, le site se transforme en théâtre. Sur les murs, les dimensions limitées et les silhouettes des peintures rendent l’exposition chaque fois plus mystérieuse quant aux ressources créatives de l’artiste. Les peintures exposées se présentent comme des œuvres à vivre et ressentir dans des temps divers davantage qu’à être seulement regardées.

       A ce sujet, ce qui frappe d’abord est que, pour l’essentiel, Jacques Grandjean travaille ou met en scène son oisiveté créative dans des méditations de paysages aussi irréels par leurs supports en carton d’emballage que par leur plasticité constamment approximative. D’autres œuvres ont pour aspect de courtes histoires consignées sur des pages de cahier d’écolier des années 50 sur lesquelles s’épandent en croquis et pochades des silhouettes humaines sur de grandes feuilles exposées sans cadre. Même si le peintre ne conserve que ce qu’il estime être son sujet, tout ce dont il tient à se mêler sans contrainte ou ce qu’il aspire par ses immersions particulières dans la peinture, ses capacités à faire voyager plastiquement fascinent et réjouissent l’esprit.

 

Chiharu Shiota chez Templon rue du Grenier Saint Lazarre.

       Il ne reste rien des étonnantes installations in-situ et quasi performances présentées depuis 2013 dans la galerie située impasse Beaubourg, excepté l’outil naguère suggestif des fils incarnant dans tous les sens du terme les traversées imaginatives de l’artiste. Quasiment rien des théâtres d’images qui les accompagnaient en transfigurant la galerie en scène d’opéra. A la place, au choix : d’inexpressifs objets d’art d’agrément en forme de cages/sculptures vaguement oniriques et éclairées comme des fantasmagories de foire, des sortes de mues suspendues dans le vide ou des espèces d’œuvres d’aspect graphiques elles aussi réalisées avec des fils tressés. Tout est plastiquement inerte et esthétiquement complaisant. Rien.

 

Eric Camus à la Galerie Simon Madeleine

       Le titre de l’exposition est « Graduations spectrales. » Pour l’essentiel sculpturales vs des objets en volume d’une exécution esthétique aussi chirurgicale qu’imaginaire, les œuvres mêlent paradoxalement art narratif et art conceptuel, jusqu’à faire croire à des objets de design décoratif. Le solo show s’organise en écho de la même manière qu’une installation s’appuie  sur un style et des matériaux quasi identiques pour toutes les œuvres, en installant entre elles une liaison visuelle évidente et immédiate. Très peu sensible à l’effusion formelle, l’artiste, très énigmatiquement concentré sur les matériaux métalliques et minéraux employés, fait signe de paysages mentaux. Dans la galerie, des vitrines aux consoles soutenant les objets : quels que soient les rapprochements qu’on parvient à suggérer, le mur personnel de l’artiste règne en maître et organise les impressions des spectateurs qui se demandent malgré le non sens des œuvres s’il s’agit d’un théâtre. Le texte de présentation, fort justement, reconnaît et guide en ce sens l’entendement de l’artiste pour émettre l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une recherche esthétique sur la violence de l’expression confrontée au réel : « Eric Camus appréhende directement la question de la définition d’une pratique. En permettant de révéler une forme atone de création artistique, au sens où elle ne produit pas d’effet spectaculaire, soumise à ses propres conditions de révélation, qui est spectrale. Cette difficulté à la définir semble attachée à la distinction nette entre le réel et l’irréel, le vivant et le non vivant, le passé et le présent, le normal et l’anormal. ». Dans la galerie, on peut songer au spectacle conceptualisé d’un travail bizarrement plus littéraire que plastique.