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Des expositions entre autres…

23/09/2024

Trois arts et trois expos, diversement…

Des taches florales de Sophie Kitching à la galerie Gounod.

      Les peintures de Sophie Kitching sont-elles figuratives ou abstraites ? Les manières qu’a l’artiste s’intéresser en même temps à la configuration gestuelle d’une tache et sa possibilité d’image autorisent de creuser les questions expressives qui ne manquent pas d’être pointées à mesure des liens qui ne manquent pas de poindre en tous sens. D’autres pratiques conjointes de l’artiste appuient cet étonnement, notamment la multiplication des formules, leur diversité formelle et parfois leurs coloris ou leur apparence visuelle avec, in fine leurs rassemblements dans des apparences de compositions en semis dans lesquelles les supports de son apparence de travail pictural sont loin de sortir indemnes.

       Le procédé est en partie documenté, Sophie Kitching n’ignore rien d’une histoire complexe à laquelle il semble qu’elle n’écarte pas d’être rattachée. On songe au style « mille fleurs » en vogue dans le décor du livre ou les tapisseries au XVe siècle, on ré-imagine les formes et usages des semis couvrant pêle-mêle la surface des tissus de sujets diversement silhouettés au 18es, on retrouve peu ou prou les faveurs d’un « pointillisme de touchers optiques », voire plus récemment quelques projets d’éparpillements décoratifs calculés de Matisse ou « teintés de mysticisme » de Marc Tobey.

       La diversité des propositions exposées interroge l’habileté esthétique ou alors, selon les cas, l’imprécision des pratiques d’évocation et de composition diverge d’une œuvre à l’autre. L’on est tantôt confronté à la dispersion d’un thème dans des « all over » purement esthétiques proches du style aimable « mille fleurs » et tantôt confronté à une apparence de recherches sur le signe et la tache synthétique à partir de différents sujets floraux. Les œuvres dans leur ensemble étant d’inégal intérêt et donnant parfois le sentiment d’être plus formelles qu’incarnées, l’artiste s’interroge t-elle sur ce que peindre engage ? Veut elle simplement figurer des herbiers ? L’objet de son art est-il : suggérer une nature réelle ou imaginaire ? Réaliser des tableaux décoratifs ?

         Le fait qu’une atmosphère colorée assourdie enveloppe chaque œuvre autorise l’amorce d’un essaie d’explication sensible sur ce qui flotte. Il se trouve que des teintes subjectives de gris de Payne ou de vert émeraude paraissent guider les surfaces des tableaux jusqu’à les convertir subjectivement en socle. Incidemment, chaque dispersion et toutes les stylisations ainsi que toutes leurs apparences, notamment colorées, semblent en même temps disparaître, émerger ou éclater optiquement du fond atmosphérique embrayé par ce qui fait enveloppe.  Faut-il reconnaître un cheminement conceptuel au travail dans cette coïncidence ?

         D’œuvre en œuvre, l’exposition imaginée comme une sorte de paysage aux diverses facettes laisse une impression d’inabouti ou d’inachevé, sinon de perspectives écourtées. Un tableau de grandes dimensions rempli d’un amoncellement pointilliste peine à convaincre plastiquement. La plupart des autres œuvres semblent n’être que des compositions formelles. A l’inverse seulement deux toiles, l’une au fond vert émeraude et l’autre au fond prune et où les motifs vibrent d’éclats lumineux ou d’une pénombre de songe, rattrapent le regard et pointent une part du mystère dont la peinture peut inexplicablement s’enorgueillir de soutenir et animer l’attention.

 

Les nuits électriques de Pierre et Gilles, galerie Templon, rue du Grenier Saint-Lazare

         Les deux artistes continuent d’étonner et captiver à la fois par leur sens du spectacle visuel de la peinture. Leur style pictural fait « le show », unique et inimitable à peu près en tout. Les peintures de Pierre et Gilles font signe et assurent de ce que les deux créateurs revendiquent humainement et artistiquement en droit et de fait avec humour, salutairement ironique à travers de belles pincées d’autodérision.

        Ce qui se reproduit ici tant photographiquement que picturalement et plus largement des points de vues stylistique et plastique (puisque les deux univers fusionnent et sont réunis en un sous la responsabilité des deux artistes), me suggère quelques interrogations à l’examen des compositions ou des thématiques, compte tenu du traitement de certaines recherches d’effets d’images. Contrairement aux précédentes expositions, la dimension narrative des portraits profilés comme des icônes semble mise de côté au profit d’ambiances visuelles et atmosphériques sans autre surface qu’elles mêmes. Les acteurs naguère héroïsés et symboliquement statufiés dans des théâtres de peintures et d’images populaires paraissent souvent ne plus être que des médaillons « breloqués » d’attributs spactaculaires et extérieurs par rapport aux personnages imaginaires sencés vivre intérieurement. Les peintures — des portraits toujours —  quelques peu évidées et plus techniques que poétiques et décalées drainent une aura d’exagération dans l‘insistance et le fabriqué, d’ajouts sans autre objet que ces habitudes stylistiques. Des sortes de pics sont atteints avec les deux autoportraits des artistes et la peinture représentant Isabelle Huppert, dont les visages s’exposent sur des fonds dissociés et sans réalité ni narrative ni expressive, sans re-percuter par leur composition ou leur traitement.

 

Le jour des peintres au musée d’Orsay

        Une idée excellente et assez joyeuse, mais bizarrement mise en pièces à l'arrivée. Des artistes souvent très modérément cultivés au point de vue esthétique et technique, vagues repreneurs de styles et de peintres ou d'œuvres semble t-il juste entrevues, parfois surtout peu imaginatifs "professionnellement". Un initiateur/commissaire avec un melon démesuré (ou des chevilles surgonflées)* est lui-même peintre exposant, artistiquement impersonnel mais généreux confrère. Quelques créateurs/trices impressionnants de curiosité plastique, de culture, d'engagement surnagent (Jeremy Liron, Françoise Pétrovtich, Marlène Mocquet, Marc Desgrandchamps, Gérard Traquandi, Florence Reymond, Mathieu Cherkit…) Surtout, il y a cette question lancinante d'un « historique » retour à la peinture (figurative vs "représentative" s'entend), à l'abri d'examens critiques pourtant risqués et portés ou "filigranés" dans le travail des peintres dès la seconde moitié du 19e. L’opportunité de cette manifestation au musée dOrsay ne peut que susciter des échos avec les risques portés ou "filigranés" depuis longtemps dans le travail de peintres jugés essentiels dès la seconde moitié du 19e, époque dont Thomas Levy-Lasne estime l’aube renaissante à partir des années 2000**. Il y a aussi cette autre apparence qui dérange, un mouvement de fond d’art conservateur et réputé populaire parce que facilement lisible, dont les représentants comme les marges de leurs productions vaquent dans des jardins enclos, à l’aune d’œuvres révérencieuses et dont les thèmes ne se départissent pas d’être reconnaissables, des tableaux de style peut-être, mais sans horizon discutable…

       Au même moment, on "reparle" du Surréalisme…un élan figuratif ou pas, représentatif mais pas que, toujours songeur quant aux techniques de recherches plastiques, ironique sur les images ou la réalité de l'œuvre, insatisfait sans cesse et à tout propos. Tout cela semble assez peu imaginé par la plupart des artistes retenus. Il s’agit d’autres présents voire d’autres histoires, avec une foule d’artistes et de créations décidément modernes, voire aujourd’hui encore innovantes… une histoire bien peu engagée par la plupart des artistes de cette scène française actuelle statufiée ce « Jour des peintres ».

* Thomas Levy-Lasne autoproclame : « Très simplement, j’ai interwiewé des peintres de la scène française parce que personne ne le faisait »… La chaine You Tube « Les apparences » qu’il anime est certes très bien venue et ne manque pas d’originalité formellement. Mais c’est oublier plus que légèrement les entretiens radiophoniques initiés par Léon Mychkine, Claire Colin-Colin etc. aux mêmes moments. C’est omettre ceux publiés depuis fort longtemps et au gré de l’actualité par la revue Art Press ou le journal Le Monde (entre autres), voire à l’occasion d’expositions ponctuelles dans les diverses institutions muséales publiques ou privées…

 

« Astérochromies » et théâtre céleste de Philippe Favier chez Ceysson & Bénétière

       La porte de la galerie à peine passée, on se trouve flottant à la fois dans un ciel imaginaire et dans une nuit galactique. Les œuvres de Philippe Favier sont réputées être des histoires minuscules, aussi délicates que ramassées et réduites à leurs formats à la fois discrets, intimes et précis. Cette nouvelle exposition n’est pas nouvelle, aucune de ces qualités ne manque.

       Carrées, en tondo ou horizontales comme des paysages fictifs, les œuvres sont de dimensions variables, parfois grandes pour cette fois. Le ciel nocturne y est visuel et semble en même temps presque tactile. Les astres sont exprimés par des micro-taches rouge vif dispersées en pluie, à la fois sans composition préétablie mais pas sans ordre général. Le regard « s’oxymorise »  sur les forces de compositions débordant simultanément hors cadre en forme de all over plastiques sémantiques et l’imposition d’un regard focalisé sur la banalité d’un sujet général. Le monde céleste apparaît également inversé : la nuit s’étend sur un fond blanc, on voit à la fois les points rouges opaques et mates qui désignent les astres et des présences galactiques mystérieuses présentifiées à l’aide d’aires imaginaires tracées en pointillés. Philippe Favier a aussi choisi de compléter ses visions en les encadrant d’une corniche noire imposante, signe symbolique et poïétique d’une nuit cette fois réelle. Qu’elles soient minuscules, simplement petites ou vastes, de formes carrées, circulaires comme une vue lenticulaire ou bien que l’artiste ai choisi de les exprimer horizontalement par un format-paysage par ses proportions supposées interminables, les œuvres évoquent partout la place d’un regardeur rêvant de disposer d’un télescope imaginaire.

       L’exposition est somptueuse. Je maintiens que pour le spectateur, dès l’entrée, le rêve esthétique s’installe, mêlé de nuit réelle et de décollage poétique. Son installation irréprochable en forme de production in situ transforme la galerie en théâtre cosmique. Emerveillé, on vise l’ample minutie des compositions picturales, l’union « parlante » des chaque encadrement transformé en objet purement pictural ; d’une œuvre à l’autre, leurs proportions sont repensées dans les moindres détails et chaque fois nuancées avec finesse. Cette exposition où il y a autant à regarder longtemps qu’à lire visuellement en profondeur, autant à estimer plastiquement qu’à jouir créativement est une leçon d’art inoubliable.