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Cinq peintres à quelques longueurs de la peinture seule…

13/06/2024

Jérémy Liron, Piet Moget, Patrick Sauze, André Masson, Ellsworth Kelly au mur…

Dans l’entre viseur plastique de Jérémy Liron à la galerie Isabelle Gounod

         De quoi tient un motif peint ? De quoi tient le tableau peint d’un sujet dont, pour l’artiste d’abord, le motif remarqué et retenu questionne l’entendement ? Cette exposition intitulée « Le dernier rivage » semble une méditation sur l’In et l’Out de la peinture en même temps qu’il évoque son univers par d’imprévisibles chemins et défis artistiques. Sans parler des chemins de traverses…

          Pour Jérémy Liron, tout justifie et mérite d’abord qu’il soit un monde à part, extrait ou imaginé comme motif à peindre, du moins arbitrairement servir de prétexte pour un tableau à propos duquel et après l’avoir in fine composé, l’artiste, prenant à partie le spectateur, l’historien d’art ou le commissaire d’exposition tentera de certifier qu’il n’est ni anodin, sans objet, ou d’une apparence vide. Jérémy Liron brouille l’envie de creuser la ressemblance dépeinte en peignant des aperçus dont la figuration est à priori banale et sans écart avec la réalité apparente, il s’agit d’une vision disruptive : non conventionnelle et suggestive. S’ensuit que, justement, Jérémy Liron forçant dans chaque tableau l’attention sur l’image à peindre la retrace, pointe un cadrage vs un regard orienté/engagé plus que sa copie fidèle. Le peintre réordonnerait t-il le visible en le pointant par morceau, secteur, plan et aspect, ou, de façon plus arbitraire, au moyen d’un aperçu personnel ? 

        On est tenu d’aller voir la peinture ailleurs que dans la répétition d’un même, et, curieux paradoxe ou diabolique oxymore : regarder ce qui dans l’ordre pré sélectif du peintre a pu le conduire à s’attentionner au point de produire une image de paysage banal en même temps qu’une vision « exceptionnelle », voire d’opposer deux images, l’une étant débanalisée l’autre, étant celle du peintre recourant à une représentation déboussolée et donc « objectivement réorientée » par rapport au réel.

        Un auteur facétieux a produit naguère un manuel d’apprentissage pour réaliser des photographies techniquement ratées « à la perfection ». Au gré des pages, on pouvait apprendre à mal  focaliser un sujet et mal en composer l’image, mal régler un éclairage, se tromper de netteté et brouiller ou flouter des silhouettes en bougeant pendant la prise de vue, etc. Plus ironiquement, les œuvres de Liron, par ailleurs photographe compulsif de paysages « hors cadre » montrent des paysages panoramiques et des vues cadrées comme des photographies accidentelles en apparence, mais stylées comme des ready-mades improvisés. Ses tableaux surprennent par leurs sujets à l’évidences multiples ; ils brillent d’écrans surjoués d’apparentes fenêtres, portes mal fermées ou entrouvertes sur des faisceaux d’objets devenus énigmatiques, de découpes tranchées du seul regard, voire de vues et d’images partiellement sauvées ou volontairement en mal de définition.

         Jérémie Liron imagine ses images peintes en les peignant d’imagination : il faut que tout semble ordinaire en même temps que, le savoir faire artistique du peintre s’en mêlant, tout soit étonnant. Partant, il excelle dans l’art de scénariser des problématiques plastiques qui dérangent et questionnent : cadrer et surjouer plastiquement « ce qui fait cadre », entoure, permet de situer ou de focaliser : une surface, un emplacement, un lieu ou une étendue, les contours d’une silhouette et le chemin d’un périmètre… Il spécule arbitrairement sur le hors- champ à compter duquel on peut parier sur un sujet phare et compromettre en même temps une apparence picturale. Il force et présume qu’un repérage visuel peut être esthétiquement décodé et il le travaille en ce sens pour le rendre à la fois insatisfaisant formellement et le rouvrir plastiquement… Ainsi, rien n’est totalement jamais abandonné, en revanche tout semble parallèlement improvisé, laissé aux allusions visuelles et alors, entre abstractions réelles et abstractions allusives, tout flotte.

        Cet art trouble le jugement, altère les arcanes appréciatives ou déroute par son style universellement abordable. Il semble devancer sans être d’« avant-garde », anticipateur sans précipiter le temps. Jérémie Liron est un peintre figuratif que sa manière comme ses techniques parfois bizarrement consensuelles interpellent. Bref il dérange en longueur de vision et de laps de temps, obligeant à revenir sur chaque tableau en détail ou en somme. Pas mal pour une pratique facile d’accès.

 

Piet Moget et Patrick Sauze à l’AHAH

       On peut parler pour le premier (décédé en 2015) d’une sorte d’hommage ou de rétrospective, pour le second, de son travail actuel.

         Piet Moget a peint des paysages presque abstraits. Les tableaux, chaque fois paradoxaux devant leur motif figuratif, se résument à des superpositions de plages uniformément colorées. Une atmosphère et une luminosité embuées composent une atmosphère générale où les formes apparaissent comme des silhouettes évasives. Les œuvres de dimensions modestes permettent de croire à des liens sensibles aussi discrets qu’intimes du peintre avec l’expression artistique et l’histoire de la peinture.

        Chaque composition marque un travail sur le motif au double sens d’un thème visuel et d’un objet plastique et pictural à fonder, ces deux directions devant être suffisantes pour faire à la fois image et surtout peinture pure.  L’abstraction scénarisée et travaillée par le peintre, du moins l’image synthétisée de ses paysages devenus métaphysiques sublime des mondes imaginés comme des visions intérieures.

       Patrick Sauze reprend de son côté l’idée de déconstruire le cadre pictural. Ses tableaux re-présentent le subjectile par sa silhouette dessinée ou diversement répétée et mise en perspective par des jeux de reflets schématiques. Si la démonstration arrive à convaincre esthétiquement une fois, ce travail contraint à repenser en même temps à des propositions conceptuelles historiquement plus convaincantes sur le même sujet.

Programmée autour d’une certaine idée de « l’espace du dedans », la réunion et l’exposition réunissent deux Œuvres qui permettent de replacer et réaffirmer la perspective sensible résolument auctoriale de la peinture par une pragmatique instauratrice du tableau.

 

André Masson, « Il n’y a pas de monde achevé » au Centre Beaubourg de Metz

        L’importance du propos du peintre aussi féru de littérature et de philosophie que d’esprit de recherche et d’expérimentation en art dit l’intérêt de cette exposition magnifiquement présentée. Il faut aller voir et se laisser être dérangé par son travail pictural tant figuratif qu’abstrait, ou encore d’expression symbolique, il faut l’écouter évoquer ses sources d’inquiétude et d’inspiration ou de réflexion théorique sur l’expérimentation artistique pendant un entretien heureusement rediffusé dans l’exposition. Masson a été essentiel pour des artistes aussi importants que Arshile Gorki ou Jackson Pollock, voire Rothko. Il a également été capital pour de multiples autres créateurs perturbés par certaines jonctions de l’image figurative avec les suggestions érotiques et métaphysiques ou par la figure suggestive de la métamorphose cultivée par le Surréalisme. Comme Cézanne (et un petit nombre d’autres) il est à mes yeux un professeur d’art permanent.

 

Ellsworth Kelly à la fondation Louis Vuitton

         L’ampleur imaginative de la couleur à la fois seule ou avec son environnement mural blanc mobilisé comme fond… Des formes entre construction visuelle et monument architectural, leurs images géométriques à la fois épurées et esthétisées jusqu‘au paradoxe minimalisme+baroque. Somptueux d’intelligence, de créativité et de sciences de l’art.