ZeMonBlog
04/05/2022
Catherine David à la galerie Fabrique Contemporaine, Roni Horn chez Pinault, Shirley Jaffe à Beaubourg.
Catherine David en forêt, galerie Fabrique Contemporaine
L’illustration du thème de la forêt passe par autant d’images descriptives que de visions personnelles et oniriques : la forêt a tout pour être une perception avant d’être une simple vue. Pour Catherine David, la forêt est un paysage essentiel et silencieux, complexe et schématique, les arbres s’étirent comme des corps ondoyant vers le ciel… Tout s’y étoffe à la fois en masse charnue et en contexte¬ — on est dedans ou on la regarde depuis une lisière, tout s’y révèle icône en même temps que rêves de peintures évocatrices. Dans les vues dont elle s’inspire, la forêt est une mise en abîme de ces façonnages.
L’essentiel est suggéré : la profusion serrée des branchages attirés vers le haut et, par projection, le parapluie forestier de la canopée servent de prétexte à des compositions plastiques libres. Chez Catherine David, la forêt a d’abord l’apparence physique d’un mur frontal parallèle au plan laissé blanc de la toile. Les arbres silhouettés d’un tracé égal figurent en nombre serré. Leurs feuillages sont suggérés par des rameaux arborescents ondulant dans des torsions de flammes. Par endroits, des variations de leurs apparences simulent par degrés des sensations de volumes. Qu’expriment donc ces arbres aussi dessinés qu’associés à des aperçus d’ensembles? L’artiste mobilisée par la profusion confuse de son thème semble ressourcer des visions intérieures et énigmatiques. Le fait est que par rapport au réel, la gamme des couleurs restreinte à une teinte développée en camaïeu amplifie les décollages imaginaires…
Catherine David veut se placer sur le terrain exclusif de l’évocation à partir des richesses visuelles de son thème. L’univers de la forêt devenu formellement insaisissable, les feuillages des arbres deviennent des linéaments abstraits ou s’inversent en prenant l’apparence de racines célestes. Avec leurs formes de réseaux irriguant les compositions en ramures et en rhizomes, ils peuvent aussi être regardés comme des veines.
Les silhouettes des arbres étroitement liées aux gestes du dessin et le nombre réduit des couleurs orientent les compositions vers une esthétique graphique de l’image de la forêt. Le style de chaque peinture se transforme en expression et en communication visuelles. L’image de la forêt serait-elle donc si mystérieuse qu’il faille la voir comme une accumulation et une répétition de signes supposés faire une écriture de son image intelligible ? Quelque chose des peintures de Catherine David fait par ailleurs irrésistiblement songer à des recherches plastiques autour du monochrome. Quelque chose de la manière dont l’artiste dépasse les bords de ses supports dit encore que son travail s’entremêle avec la technique du all over de la peinture expressionniste américaine. Toujours encore, l’usage répété d’une silhouette graphique des arbres comme patern en association avec des variations ou des changements subjectifs de gammes, rapprochent son art du paysage symbolique… On l’a dit, pour l’artiste, la peinture s’ouvre avec une élégance visuelle certaine sur des enjeux plastiques et esthétiques résolument personnels.
Les toiles peintes comme si elles devaient être emplies d’images, le motif traité et modélisé des arbres présenté sous l’aspect d’une masse compacte où la lumière traverse par accident, les entrelacs voire le fouillis inextricable des branchages, tout cela conduit Catherine David à privilégier des visions artistiques qui la satisfont et qui l’inspirent. Le thème de la forêt apparaît dans ce cadre comme un prétexte à initier des peintures de paysages aussi réels que non figuratifs qui disent le plaisir de peindre.
« Well and truly » par Roni Horn à la Bourse du Commerce Fondation Pinault
Les œuvres in situ comme les installations filent par définition les cheminements de l’histoire de l’Art Conceptuel. Well and truly a la forme d’une installation sur le thème de l’eau ; sa créatrice ne cache pas ses sources d’inspiration. L’œuvre se compose d’une dizaine de blocs de verre cylindriques baignant chacun dans une délicate et translucide couleur d’eau bleue, vert-bleu, violacée, gris clair et blanche. Eu égard aux logiques de l’Art Conceptuel, leur esthétique et leur mode d’exposition ne procèdent objectivement que de leur constitution, leur présentation et leur répartition. Roni Horn applique ainsi l’idée de concepts acquis ou à imaginer à partir de correspondances scientifiques ou métaphysiques de l’interprétation de l’eau et de ses images.
Arguant une inévitable part de scénarisation, il est prévu que chaque installation de l’œuvre occupe virtuellement toute la surface de son emplacement. Habilement dispersés au sol, les cylindres d’eau pétrifiés et, parallèlement, l’aspect artificiellement gelé et coloré de leur surface concentrent l’attention sur la possibilité d’un immense lac en réduction. La totalité du lieu est acquise à une lecture métaphorique de l’œuvre, l’intérieur de la salle d’exposition laisse place à un vaste paysage de méditation que, j’imagine, le peintre Caspard David Friedrich n’aurait pas réfuté…
Le paradoxe est que les cylindres d’eau silhouettent des formes solides. En contemplant attentivement ce spectacle entièrement illusionniste, on note que chacun seulement apparaît en tant que contenu démoulé d’un contenant effacé par l’artiste. On convient donc que malgré la relative opacité de leurs teintes bleue, vert-bleu, violacée, gris clair et blanche, leurs enveloppes extérieures sont tout aussi fictives… Pareil encore pour l’eau incolore, limpide et d’une totale transparence, si vraie qu’on croit pouvoir agiter sa surface, ou dont la profondeur miroite la lumière et l’environnement.
Le regard contemplatif, on se laisse porter par l’esthétique flottante et silencieuse d’une sculp-ture poétique installant un paysage baigné d’une atmosphère d’aube. Au-delà de son irréfutable intelligence plasticienne, Well and truly est d’une force résonnante et d’une beauté absolues.
Shirley Jaffe à Beaubourg
On a envie de dire et répéter « Vive l’art de peindre ! ». De peindre à la fois intelligemment et d’instinct, d’un mouvement spontané et aussi d’un geste espiègle. Vive les tableaux aussi faciles à regarder que compliqués à aimer durablement. Vive les compositions visuelles barbares, vives les agencements libres et les désordres calculés, vive les incohérences ponctuelles et vive les avantages prévisibles de leurs mystères. Vive l’innocence improgrammée des œuvres encore imaginaires et les apparences maintenues à l’état d’esquisses.
« Le geste de peindre » au début émotionnel et matiériste de Shirley Jaffe est resté « un geste de la forme peinte » qu’elle a valorisé avec un talent fou dans les œuvres ultimes de son travail d’artiste. Pas un renoncement, pas une faiblesse, aucune peur, mais des doutes créatifs et des engagements disruptifs contre les habitudes, à l’opposé des évidences. Qu’elles résultent de silhouettes posées sur un fond ou qu’elles s’en détachent entre plein et vide sans qu’on comprenne de quel motif elles sont inspirées, qu’elles soient géométriques, abstraites ou quelconques, que dans chaque composition une partie du tableau soit stable et qu’une autre bascule, qu’in fine on trouve certaines œuvres réussies et d’autres moins abouties, les peintures de Shirley Jaffe invalident toute réserve quant à sa décision d’être irréparablement artiste en même temps que soi.