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Choses déjà vues et redécouvertes

20/12/2020

Quelques rares expositions en ces temps de pandémie. Diverses…et pour certaines, à découvrir. 

Abraham Poincheval aux champs sans Duchamp, Galerie Sémiose.    

     La démarche artistique d’Abraham Poincheval est engagée dans des aventures paradoxales. Bizarrement, elle est aussi individuelle, ludique et complètement personnelle que tragiquement contenue et parfois sans objet. Abraham Poincheval  aime échafauder des performances à la limite du non sens, confondre et défaire les mondes humains ou animaux, retourner ou confondre les modes de vie minérale ou palpitante. Il aime apparemment provoquer sans discernement la nature et les songes en les entremêlant de liens d’illustrations réciproques et illusionnistes. Sa production, formellement inattendue, semble en même temps chercher à réfuter une pensée réflexive ponctuelle ou d’envergure, quand bien même ses « œuvres » habitent spectaculairement leurs environnements d’expositions  au point de faire croire à des approfondissements ou à une évolution réflexive dans sa pratique. A travers sa dernière œuvre vidéo, Walk on clouds, initialement présentée à la Biennale d’art contemporain de Lyon en 2019, le performeur, tout à l’exécution littérale de son projet d’évocation, reproduit jusqu’à son paradigme un système borné et passablement usé où le rêve n’est que l’alibi d’un film sans décollage fictionnel. En répudiant toute transposition de forme, en intriquant l’idée d’un projet fictif avec son illustration à la lettre, jusqu’à se parodier sans le voir, Walk on clouds  apparaît comme un exercice de mémoire littérale. Quand l’idée du temps s’illustre, elle n’est qu’une contrainte de fait, rarement une perspective imaginaire. Inutile donc de chercher un débordement ou un oxymore dans ce travail, inutile de le croire fluctuant entre les idées qu’il présente ; ses référents fonctionnent terme à terme. Walk on clouds  ne mobilise pas d’exercice sur le vocabulaire visuel ou une recherche quant aux sciences de l’art, il les investit techniquement sans contredire leur définition commune : pas d’inversion de creux prospectif ou spéculatif, rien de particulier sur le Septième Art pourtant largement sollicité. Walk on clouds  est le film d’un « Indiana Jones » évanescent marchant dans les nues ; son ironie s’arrête là.    

          Le travail d’Abraham Poincheval n’est pas pour autant inconsistant. En quoi est-il alors intéressant hormis la pratique créative indéniablement spectaculaire de son auteur largement nourri des techniques de la performance ? Dans l’exposition, des dessins préparatoires symboliquement préparés/réalisés à la craie sur des tableaux d‘école rendent compte de programmes de travail et montrent des intentions. Tout, du graphique et du croquis préparatoire, est mobilisé, jusqu’à l’effacement et la correction ou le repentir stratégiques. On se souviendra tout au plus que sur la surface noire du tableau, l’image inversée à la craie blanche décalque plastiquement le creux d’une recherche en instance. L’artiste  s’exprimant sur son ardoise d’écolier n’accompagne cependant sa recherche d’aucune beauté graphique : il n’exerce pas de pression sur son travail visuel, n’engage à priori aucune esthétique de circonstance excepté peut-être un protocole de présentation reprenant l’environnement scolaire d’une classe. A sa façon et par comparaison, chaque « dessin » induit un objet plastique conceptuel en même temps et qu’une production de nature « anartistique. Partant, on songe à quelque production radicale conforme à l’art conceptuel des années 70… mais nous sommes 50 ans plus tard et il existe moultes reprises d’une telle approche devenue procédé au fil du temps. Plus prosaïquement, on peut y déceler les synopsis de productions éventuellement circassiennes et en ce lieu espérer du merveilleux. Et c’est ainsi qu’en se lovant in fine dans un ventre d’ours, qu’en campant in fine sur une plateforme étroite perchée à 10m du sol, qu’en habitant in fine (dans) une pierre ou en couvant in fine des œufs à la place d’une poule, voire en donnant, au moyen d’un film documentaire, l’illusion en trompe l’œil de marcher sur des nuages, l’artiste croyant « funambuler » ne produit en fait rien d’autre que des textes descriptifs qui ne sont ni des récits, ni des poèmes, ni des histoires… mais en revanche d’innocentes comptines.  

 

* L'"anartiste" est cet "artiste" qui prétend s'affranchir de toute instance extérieure et ne se légitimer comme artiste que par sa puissance créative ou performative. L'anartiste produit un événement qui ne transforme pas la forme d'un objet (le readymade) mais sa fonction. Son geste est de l'ordre de l'institution. Il institue une valeur. L'objet n'engendre plus du plaisir ou de la beauté, mais de la valeur, de la légitimité. (Jacques Derrida)

 

Guillaume Dégé, même lieu…   

         Guillaume Dégé compose et dessine des assemblages de formes organiques librement inspirées de la faune et de la nature aussi bien terrestre que marine, végétale ou minérale. Chaque dessin est finement exécuté selon un schéma horizontal, avec des effets d’aquarelles joliment acidulées ou encore avec des nuances graphiques et des effets de lumière suffisamment « abstractisés » pour se prêter à des silhouettes et des paysages vaguement minéraux et parfois flottants. Discrètement surréalisant (Yves Tanguy ou Max Ernst ou Jean Michel Folon ?), l’ensemble, très agréable, évolue avec sobriété en se limitant aux conventions d’images dessinées savoureusement sur des thèmes un peu oniriques entre réalité et interprétation personnelle.

 

« Un cabinet d’amateur » par Clémentine Méloi chez Lara Vincy    

           Rien de neuf, ni sur l’humour, ni sur le principe d’œuvres à contrainte d’esprit oulipien. C’est aussi léger qu’amusant et facétieux dans l’intention, comme convenu, cocasse et espiègle dans la présentation, mais in fine un peu lassant et sans originalité sur la forme. Rien à découvrir qui n’a déjà été songé et retourné ou détourné, rien qui n'a déjà été joué.. N’est pas Pérec ou « peintre calembourgeois » qui veut. N’est assurément pas Duchamp qui s’y croit non plus. Un vrai cabinet d’amateur !

 

A la fab Agnès B…    

         Deux expositions presque réunies en une seule. La première titrée « This is the England » est signée « The anonymous Project ». Elle se présente comme un théâtre sociétal fictif avec des objets, des environnements et des œuvres photographiques conçues comme des paysages habités. Dès l’entrée de la galerie, une œuvre intitulée : TV nation¬ est faite d’un empilement de téléviseurs datant des années 60. Chaque écran a été remplacé par une photographie illustrant un foyer populaire équipé du même genre de téléviseur… et d’un portrait de son habitant installé dans son salon. Chaque environnement est à la fois mis en perspective et mis en abîme dans son installation in situ, de sorte que les formes et leur contenu fusionnent à la fois esthétiquement et un peu psychologiquement. Il est sobrement question de revivifier une atmosphère et une époque, de réincarner ses acteurs populaires, et toutes choses égales de retrouver une pendule et réentendre des cœurs. Avec chaque téléviseur, l’image « rétro-instillée » d’une image «oubliée» revient symboliquement sous l’image d’ensemble de l’exposition d’aujourd’hui. Deux autres environnements sur le même thème sont également scénarisés dans la galerie : d’abord il y a la première l’installation sommaire d’une caravane de camping avec des images de vacances familiales et amicales projetées à l’intérieur en lieu et place des fenêtres. La seconde installation se présente sous la forme d’un salon-cuisine-fenêtre-ouverte-sur-l’exterieur reconstitué in situ. Là encore, un écran sur lequel des diapositives sont projetées sur le thème des vacances a pris la place d’un mur. Un climat rétrospectif embue l’intérieur d’une nostalgie de microsillons. Des sonorités pointent dans la confusion sensible des formes, des couleurs et des  matières entre elles…

       La seconde exposition intitulée « New Normal » rassemble une série de photographies en très grandes dimensions de Massimo Vitali. Elles représentent des environnements de vacances à la plage… Apparemment objective, chaque vue porte cependant les marques d’amples effets de recompositions/reconstitutions ; des retouches et des reprises marquées font en même temps songer à des effets de peinture. Passé cette référence de l’auteur à la photographie plasticienne, on conclut qu’à ses yeux, l’aperçu prime, confirmant chaque photographie dans son statut construction visuelle pas cachée. Il est encore question d’ambiance, il est encore question d’aura, selon la définition de Walter Benjamin.*     

       Sauf que dans la galerie, les deux expositions sont toutes deux mises en scène avec des marges d’expressions communes. « The anonymous Project » et Massimo Vitali s’appuient chacun sur des images assez générales et assez vraies pour être symboliquement regardées comme des panoramas, elles absorbent indistinctement le spectateur et l’espace de la galerie dans un mouvement entre illustration et échos, leurs valeurs d’ambiances finit de réduire leur production d’auteur à un fond expressif partagé.

        N’était-ce la proximité des images de Massimo Vitali avec des photographies de Martin Parr et chaque œuvre de The anonymous Project avec une possible installation d’Edward Kiennolz, l’exposition renvoie à des cycles d’images à la fois assez vraies pour être regardées comme des évocations plastiques.

      L’exposition semble une, elle décrit ce que les œuvres exposent et expriment, tout fait époque et poésie temporelle. Son théâtre mêlé de transparence et d’empreintes n’écarte ni le vu ni le perçu de leurs signes sensibles. Telles qu’elles sont évoquées ou réincarnées par ce halo esthétique par endroit spirituel, les années 60 apparaissent aussi délicates que diffuses.

 

* Water Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »