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« Aperçus », « Aspects » et « A propos », ou les engagements exposés d'une mise à vue

25/01/2024

« Seer and Seen » chez Galerie Praz Delavallade ou Maud Maris sans vision

        Maud Maris est connue pour inventer et réaliser en peinture des natures mortes, des architectures ou des mises en scène complexes d’objets divers préalablement photographiés. De mystérieuses luminosités et autant de colorations aux teintes de faïences et théâtralisées embrument chaque ordonnancement en pointant des silhouettes de songes. Partant de ces dramaturgies oniriques, optiques et atmosphériques, l’artiste a développé des œuvres picturales intenses, spatialement complexes et finement exposées à des matières picturales sensibles et délicates. On devine l’artiste attirée par diverses questions de visions stylées ou temporelles, d’images et de contes réunis ; attirée encore par l’évanescence de mondes légers, des compositions plastiques savantes imprégnées d’apesanteur et d’onirisme, marquées d’une vraie de formule conceptuelle.

     Le fond et la forme de l’exposition intitulée Seer and seen  (voyant et vu) interrogent. Délaissant les apparences mystérieuses qui la préoccupaient, l’artiste interprète aujourd’hui des images approximatives d’animaux dans des décors d’illustration. On peine à concevoir les suggestions d’approches techniques ou plastiques derrière les mises en scènes et les représentations stylisées d’animaux, les apparences de paysages, les atmosphères ou l’expression des compositions plus littéraires que visuelles : tout n’est qu’images plates et miniatures décoratives. Le travail pictural dépourvu de subjectivité paraît s’effilocher en devenant évanescent, rien ne surprend ou ne dérange particulièrement. Peut-être ne s’agit-il que d’une évolution stylistique personnelle de l’artiste, la redéfinition d’un langage esthétique en autonome ? Présumées faire partie de l’exposition, trois minuscules œuvres sur toile sans châssis surprenantes d’amateurisme plastique déroutent…

 

Jean-Michel Alberola : Les Rois de rien et les années 1965-66-67 chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare

        L’exposition se déploie dans la galerie entre sous-sol et niveau rue dans une atmosphère de rétrospective. La partie « sous jacente » (des œuvres sur papier en réalité récentes) est réservée aux passions et aux engagements artistiques et politiques d’Alberola. Elle regroupe des œuvres essentiellement textuelles chroniquées à partir d’actualités générales et culturelles particulières aux années 1965-66-67, ces trois années annonçant par ailleurs les bouleversements de l’année suivante et leurs suites historiques. Dispositif de collages mémoriels et sensibilité de l’artiste ont l’aspect de montages épars faits de notes et d’extraits de presse, de citations brutes d’auteurs réputés peu conservateurs : toute une enquête contre l’amnésie de l’histoire. De multiples ajouts et interventions esthétiques : marques de gestes spontanés, dispersions d’empreintes et de traces colorées sensibles supposées, (re)faire partie des moments cités ponctuent les compositions qui, du coup, s’affichent aussi picturales que scripturales et graphiques.

        Au dessus, niveau rue, sont regroupées des peintures murales ou sur toiles de dimensions variées et sur des sujets également divers. Les œuvres, cependant peintes pour l’essentiel sur le thème « Les Rois de rien » guident l’ensemble et servent de prétexte aux œuvres pentes sur les murs. Qu’on les considère ensemble ou séparément, leur pertinence esthétique et humoristique associée à la palette technique d’Alberola impressionnent par leur suggestivité. D’œuvres en œuvres, les formes déployant une acticité en apparence fragmentée de concepts d’expressions plastiques et de vagabondages poétiques entremêlent de multiples reflets. Des inscriptions rappellent un musicien, conceptualisent et ironisent sur la dénomination d’une surface flottant dans un entre deux simultanément non figuratif et descriptif, peu détaillé, un visage flouté oscille entre présence filigranée et aperçu. Partout, Jean Michel Alberola déconstruit à l’infini les plans et leurs découpes, brouille les repères entre intérieur et extérieur, bords et marges, net et flou. Il cultive la polysémie des zones entre surface et partie, cadre et non cadre, focales affirmées et déconcentration visuelle, silhouette et portrait…

       Le coloris aussi ponctuel qu’élargi aux contrastes simultanés et aux nuances, n’est pas en reste. Alberola semble avoir une attirance pour l’esthétique de la fresque. Ses peintures dont l’éclat des teintes est régulièrement un peu rabattu ont l’air travaillées comme si, chaque subjectile avait été apparenté à un mur enduit et les peintures étudiées pour être peintes « a fresco ». Peinture d’atelier et pratique artistique à la fois autarcique et « urbaine », poreuse de tous les reflets d’actualité et personnel, les « Roi de rien » miroitent des identités complexes, mouvantes entre apparition et de transfiguration. Et c’est en s’étonnant qu’on remarque que les sujets comme les compositions oscillent entre croquis et découpe, que leur mise en vue et en image s’estompe, que ses héros sont affublés d’attributs et de distinctions ironiques. C’est de manière concertée que chacune file plastiquement une construction à la fois informelle et parcourue d’apparences, que subrepticement pour le spectateur, ça se rassemble dans une effigie. Alberola imbibe ses « Rois de rien » d’un triple monde inconsistant, extérieur et intérieur, il les expose aux porosités de cultures avec et sans histoire, avec plus ou moins d’images évanescentes ou terriennes. Les  tableaux, témoins incarnés de l’« In » et de l’« Out » muralisent esthétiquement de multiples visions associées.

      Alors les peintures murales virent aux « tags »*, au « graph» voire au « burn »** spectaculaire ou allusivement politique. L’actualité mine la peinture d’Alberola aussi grand lecteur qu’observateur acéré. A leur contact, il entremêle les codes et les effets esthétiques dans  tous les sens. L’intitulé de la peinture murale « La sortie est à l’intérieur » qui accueille le visiteur, superpose faits et plans, découpe et dissémine les éléments d’une case de bande dessinée imaginaire (a-t-elle été empruntée à Hergé ou à Edgar P. Jacobs)… Le peintre ironise sur l’image déconstruite de sa peinture, l’éparpillement illusoire de son récit, il suggère de réfléchir poétiquement au désordre imaginaire de la forme peinte : les mouvements inversés, sinon les reflets et le sens de l’image depuis son moment d’apparition. L’image, habilement scénarisée, se lit sur le mur comme un livre émietté, clame un instant et livre une manière d’être exposée au regard et à la lecture, on songe aux romans-photos jadis détournés par Guy Debord dans l’urgence situationniste. L’injonction « La sortie est à l’intérieur » que le peintre emprunte allusivement à Guy Debord fait écho à ce dont, en sous-sol, un tableau sur papier anticipait l’urgence d’une idée phare. L’apparence narrative et l’esthétique urbaine de la fresque se confondent avec la surface du mur en même temps que le pictural s’emmêle du tout.

       L’aventure artistique de l’instauration du tableau et le besoin de consacrer la plasticité de la peinture, la volonté de redonner du sens à l’image peinte par une attention subjective et focale du monde sont orchestrées ensemble. Alberola ne peint pas seulement en temps que peintre figuratif, il « abstractise », superpose et conceptualise les apparences dont le tableau a besoin dans l’ordre qui lui convient. De sorte que, d’une œuvre à l’autre, on se réjouit de songer à l’inattendu de propositions esthétiques et questionnantes.

* Street art et graffiti, fresques urbaines. Le « tag » (graffiti) consiste à apposer une signature sur un mur à l’aide d’une bombe de peinture ou un feutre. ** Le graph étend l’idée du tag à une scène ou un motif peint. *** Le « burn » élargit esthétiquement le principe du graph l’idée d’une fresque murale exécutée à la bombe.

A voir ça et là ou à redécouvrir

15/12/2023

Claude Viallat chez Templon rue Beaubourg

    Les tableaux faits de toiles immenses sans châssis déploient leurs compositions colorées sur les murs. On voit de prime abord des tentures ou des mosaïques. On distingue des assemblages et des combinaisons en dallages irréguliers de formes diversement réparties sur des fonds incertains. Chaque œuvre mélange ou décline une picturalité à la fois sectorielle et environnementale, disposant à égalité un dispositif mural d’œuvre in situ et un dispositif aux échos de happening. Le regard capte et suit les gestes du dessin de l’artiste constamment en mouvement en même temps que l’œil apprécie chaque situation comme si elle passait de l’apparition à la démonstration. Les « haricots » du peintre révélés à l’insu de leurs images/signes devenus poétiques à force de passer dans les tableaux, silhouettent des présences tantôt mentales et tantôt abstraites, quelque fois, seulement esthétiques et bizarrement incarnées visuellement. La peinture de Viallat vit de détachements, d’abandons et de recours, d’impressions fugaces et provisoires, sans ad-venir en étant libres de paraître, comme Viallat agit pour surprendre.

    L’imagination picturale se renouvelle et se déride à travers le pragmatisme de l’art d’inventer une production. Avec Claude Viallat, la démarche conceptuelle, par définition à distance, s’enjoue d’évoluer et s’arrimer dans des aventures plastiques et esthétiques chaque fois inédites. Claude Viallat s’active depuis longtemps dans un vagabondage aussi joyeusement bordélique que paradigmatiquement créatif. Le peintre appelé à saisir que chaque nouvelle œuvre est une occasion de faire jouer tous les éléments plastiques entre eux, multiple les opportunités picturales. Bref, que ce soit de depuis Nîmes ou depuis Paris, on se régale du souffle d’un artiste jamais à bout de reformuler son travail et d’agir pour surprendre. Et s’en régaler !

 

Gilles Aillaud, « Animal politique », au Centre Pompidou

     Engagé par la Figuration Narrative*, ou simplement peintre figuratif, voire peintre philosophe et moral selon le centre Pompidou qui estime sa peinture à l’aune d’un projet conceptuel. Pas besoin d’être loin de l’art et de la peinture pour remarquer dans ses tableaux que le sujet flotte constamment, non pas indécis, mais indéfini, et en même temps de maniére paradoxale, résolument mimétique. Ce qui est montré avec les analogies formelles embarque et met en perspective des constructions visuelles que leur scénarisation plastique et l’autonomie artistique du peintre interrogent. Contre toute attente, et particulièrement celle du temps et de la technique employée, le geste pictural partout « suffisant » et la place laissée par l’artiste à l’apparence creusent l’inaboutissement tactique d’une recherche délibérée autour de l’œuvre progressant pendant son instauration. En me montrant dans son atelier de Malakoff un grand tableau à la fois en cours et au repos (ou en jachère, voire à certains endroits seulement esquissé et succinctement « pochadé », bref une représentation davantage sommaire plutôt que travaillée « à l’aperçu »), je l’entends encore me dire : « Ça suffit, c’est inutile d’en faire plus, c’est assez ». Je me le rappelle conclure, à la fois perplexe et attentif par rapport au tableau en cours, que peindre pouvait n’être pour l’œuvre qu’un temps d’usage, relativement à ce qu’elle « tient ». Et de fait, dans l’exposition, des seuls points de vue simultanés du geste et de sa démonstration, les tableaux brossés comme les dessins esquissés de son encyclopédie animalière déroutent par leurs « imperfections académiques ». Les œuvres présentent des cadrages plus ou moins photographiques ou arbitrairement « ratés » : les silhouettes des animaux apparaissent autant partielles qu’approximatives, comme de larges paysages à la fois documentés et approximatifs. « Sans s’en faire », l’artiste semble délaisser l’état de ses d’œuvres ou ironiser sur son travail. Alors l’admiration s’oppose à la place de l’Ecole, du sujet dont on interroge l’origine : on retient que Gilles Aillaud peint à partir de lui-même et de sa « nature animalière » dans le monde qui l’environne, qui le met à vue et dont il semble vouloir redéfinir les rôles. Gilles Aillaud capte des moments pendant lesquels sa vie particulière d’artiste le distingue philosophiquement du commun animalier qui lui suggère de décrire le monde qui nous contraint.

* Gérald Gassiot-Talabot, « La Figuration narrative, édition Le Cercle d'Art, Chambon, 2003 »

 

« Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les dernières toiles », au Musée d’Orsay

     Le dernier souffle, sinon le dernier cri d’un artiste au bout du risque de sa vie. Van Gogh et quelques dizaines de peintures et de dessins, tous réalisées en deux mois, juste le temps d’hurler la passion dans l’urgence de peindre, de soutenir parallèlement que son art est sans contradiction aussi médité qu’organisé plastiquement. Tout du geste et des emportements connus de l’artiste sont rappelés et concentrés dans ses propres mots*, qui disent que son travail artistique et conceptuel s’articule sur un fond d’ « enchevêtrement » des formes dans la peinture. Partant, on « ré-enracine » les disséminations et les mouvements à la fois terriens et célestes de la touche du peintre, l’éparpillement organisé de ses gestes qui emmêlent les compositions et les effets de matière nerveusement picturale à travers lesquels il reprend les motifs sans discontinuer en les dessinant les uns par rapport aux autres.

     Les tout derniers paysages, et son œuvre ultime particulièrement, tous préemptés dans des toiles au format double carré, s’imposent comme des apparences instaurées d’art de peindre où le tableau fait simultanément surface et lieu, espace et moment, sujet du peintre œuvrant et image de ce qu’il formule et espère rendre sensible. De là revient l’écheveau des questions dont Van Gogh a édifié l’insondable mystère : questions qui creusent dans chaque tableau la mise en abîme de son dessin toujours appuyé de couleur. Et par lequel on ne voit que des apparences bouleversées par un peintre épris de peindre juste.

* « J’ose t’engager à croire que dans le paysage on continuera à chercher à masser les choses par le moyen d’un dessin qui cherche à exprimer l’enchevêtrement des masses… ». Van Gogh, propos sur Delacroix vs Lutte de Jacob avec l’ange, Ecrits et correspondance.

 

 

L’exposition est une occasion, ou un ensemble parfois un peu retors…

17/11/2023

Rue du Pont de Lodi : Daniel Buren chez Kamel Mennour ou l’inverse…

      Buren fait du Buren, évidemment. Sauf qu’une fois de plus, une fois encore, il se réinvente en repiquant le canevas de l’« in situ situé »1 qui le guide et lui sert depuis cinquante ans à varier « ses coups de dés »2 Cette nouvelle exposition  présente donc une nouvelle stratégie d’apparition et d’application du paradigme : Buren évidemment, mais de manière inattendue.

      Pour « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés »1, à la galerie Kamel Mennour, Daniel Buren a réimaginé les bandes uniformément colorées qui apparentent le signe plastique de son travail comme un logo. Ce nouveau travail s’enhardit d’effets simultanés d’environnements et de reflets disposés en miroir, de motifs muraux composés d’objets pyramidaux « posés sur la tête »3 et d’ironiques variations esthétiques des uns par rapport aux autres. Finement muée en palais des glaces, la succession des murs de la galerie file ou égraine ainsi de bas et de hauts reliefs pyramidaux sur lesquels l’artiste a disposé ses bandes diversement colorées pour qu’elles se reproduisent et mirent en abîme leur propre dispositif fictionnel d’une œuvre à l’autre.

     Auto-propulsé par son mécanisme à la fois purement formel et totalement théâtralisée à partir des déviances disruptives de son créateur-propagandiste de son travail, l’installation bruisse comme toujours d’une réflexion sur l’intellection plastique et instauratrice de son emprise environnementale par rapport à La Peinture et, d’une perspective plus large, par rapport à l’Art. A l’instar du peintre Sol le Witt qu’il admire par ailleurs, je note que l’abstraction conceptuelle de Buren passe à une forme de réalisme grâce à son effet revendiqué d’étendard auctorial. Reste qu’à tout le moins, dans la galerie et à travers l’exposition présente, l’artiste creuse le paradoxe d’une esthétique et d’un art hyper personnalisés, creuse le sens chaque fois imaginaire et variable « d’un pareil au même » d’apparence et qu’il suggère in fine la possibilité qu’une réinvention permanente du regard et d’une œuvre dans un mouvement poïétique concerté. 

      A la fois porté par une irrépressible envie de jouer et d’ironiser sur le statut du spectateur et le besoin personnel d’assumer une production aussi ouvrière que sensible, l’artiste engage conjointement la conception et la production matérielle de son œuvre dans des vagabondages et des chemins imprévus. Pendant tout le temps de la recherche apparente du travail d’art « à situer », la galerie apparaît comme une zone de contacts et un environnement ou tel un White Cube informel tout peut sembler aussi esquissé que « préparable ». L’installation de « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés » démultiplie à profusion à la fois l’image d’expérimentations ponctuelles et le process général de l’œuvre, au point d’étayer l’impression d’une manière de « sprezzatura»4 dans l’esprit de l’artiste.

       Que retenir de « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés » œuvres et Œuvre en soi simultanément « in situ située » ? Des tableaux sont en même temps répartis et instaurés comme des œuvres in progress dans les divers espaces de la galerie. Les assemblages modulaires de glaces/miroirs carrés disposés et étendus en carrés qui les constituent forment des compositions autonomes et réactives, de sorte qu’ils se diffusent et se fondent comme environnement : chaque relief pyramidal, en se reflétant dans le tableau ou dans son propre support miroir, provoque sa dispersion, son éclatement et, à certains égards, sa dématérialisation. Tout s’entremêle et se complète simultanément ou bien rien ne s’assemble rationnellement pour initier une vue unique.      On se perd en conjecture en même temps qu’on comprend que l’artiste se réjouit, paradoxalement, d’échouer peut-être à tout contrôler de la nature processuelle de son travail.

 

1–« Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés », « in situ située » etc. sont des expressions de Buren, Vidéo. Archives Kamel MennourParis, 2021. 2– Stéphane Mallarmé, « Jamais un coup de dès n’abolira le hasard » Gallimard. 3– Buren ibid. 4–Néologisme italien propre au manièrisme. En esthétique, le terme sert à désigner une "nonchalance" feinteune sorte de négligé chic où la maîtrise se voile ironiquement d’une part de désinvolture. 

Tadashi Kawamata, galerie Kamel Mennour, rue Saint-André des arts.

      Les installations in-situ de Kawamata sont connues pour leur caractère à la fois étrange et spectaculaire. Chacune de ses propositions plastiques suscite de l’intérêt par son engagement créatif et une vision disruptive de la sculpture. Sa nouvelle proposition pour la galerie Mennour n’est en ce sens pas moins ambitieuse. A ce détail près que cette fois, l’effet théâtral de greffon du geste sculptural qu’il installe et scénarise dans l’espace de la galerie manque un peu son coup en étant, me semble–t-il, globalement moins imaginaire ou sublime qu’à l’accoutumée. 

       Que se passe t-il donc pour que le lieu paraisse à ce point davantage rempli que bouleversé et esthétiquement retourné ? L’artiste s’est d’abord évertué à accumuler et entasser de vieux meubles glanés chez Emmaüs dans les divers espaces de la galerie. Une fois établi chaque arrangement, il a partiellement recouvert les volumes obtenus d’amas désordonnés de planches de bois blanc selon son style bien marqué. Il faut le reconnaître, chaque composition est spectaculaire par son volume et la silhouette qu’elle dessine : c’est aussi étrange que baroque. Mais, contre toutes surprises, c’est aussi un peu attendu et esthétiquement limité.

      Contrairement à son concept de sculpture greffée comme un essaim peut « parasiter », prolonger ou occuper un endroit de manière inattendue en l’esthétisant « accidentellement » par son incongruité imaginative, les sculptures, sans autre volume qu’elles-mêmes et comme seulement encadrées par les planches ajoutées, apparaissent ici comme des productions d’in situ passives. Et, alors qu’on regarde chaque proposition dans son entièreté, on a réellement l’impression, parfois, que ça fonctionne uniquement comme deux objets distincts, que les accumulations de meubles n’ont pas besoin des planches qui les entourent ou les coffrent de façon superficielle. (Un sommet d’improbabilité est atteint avec un assemblage bricolé d’un petit tabouret et d’une planche pauvrement accrochée sur un mur).

        Partant, j’éprouve une défiance sensible lorsque l’artiste défie l’entendement et atténue l’effet de son travail de suggestion et d’expression quand il indique « Lorsque je choisis de remplir activement un espace, le geste et son intention ne sont perceptibles que lorsque l’ensemble est réalisé. Il s’agit de faire l’expérience d’un espace, de donner à comprendre une relation… » Cette exposition particulière montre que ni le geste ni l’intention ne s’activent ensemble poïétiquement.1

 

1­– Tadashi Kawamata cité en préambule à l’entrée de la galerie

 

Tadashi Kawamata, installation sur la façade de l’immeuble Liaigre, rue du Faubourg Saint-Honoré et expo galerieKamel Mennour, rue Matignon.

       L’installation intrépide en forme de happening d’un « essaim de chaises » en haut de la façade de l’immeuble Liaigre permet d’estomper l’intérêt mesuré des dispositifs in situ de la rue Saint André des arts. Kawamata semble à cette occasion avoir à la fois retrouvé son sens du spectaculaire et de la surprise esthétique. Les chaises agglutinées interpellent aussi étrangement comme objet bizarrement dépossédés de leur fait que comme métaphores d’un nid. En rappelant l’Arc de Triomphe empaqueté par Christo, l’œuvre confusément saisissante, surprenante et somptueuse par son effet de transformation esthétique d’un site emporte l’adhésion et questionne dynamiquement l’objet créatif d’un dispositif plastique.

       Dans la galerie quasi attenante de la rue Matignon, l’artiste reprend son thème de la cabane. Cette fois, l’idée est d’organiser ou d’illustrer in situ une sorte de forêt ou de petit bois où des arbres en partie fictifs servent de supports pour des « cabanes ». L’artiste use du geste et de la manière artistique qu’il connaît pour percher ses « logis » dans les branches sans concevoir de projet artistique nouveau. On voit qu’il s’agit d’objets commerciaux, l’habitude pratiquée rue du Pont de Lodi se referme en boucle…

 

Bernard Réquichot se fait à nouveau remarquer chez Christophe Gaillard

         Pas simple d’évoquer la beauté et l’intelligence d’un art aussi autonome et signé que celui de Bernard Réquichot. L’exposition regroupe une partie de la collection de Daniel Cordier, soutien et collectionneur heureusement avisé de l’artiste. Et c’est encore et comme chaque fois une vraie émotion de revoir l’invraisemblable créativité plastique et visuelle dont il était capable, reconsidérant à la fois son imagination, l’imaginant même jusqu’à la concevoir et la parcourir d’humour factuel autant que d’inquiétude temporelle. Il y a les dessins de boucles « écrites » d’un tracé de plume répétitif et nonchalant, les papiers dont l’espace largement laissé vierge accueille cependant des dispersions à l’esthétique mescalinienne, les écritures et correspondances volontairement aussi illisibles que truculentes. Peintre informel selon la définition de Michel Tapié1, Réquichot a aussi produit des œuvres qui interrogent sur le contenu du vide que l’imaginaire en toute hypothèse suggére avec l’absence de repaires dans un monde capable d’advenir en se créant en acte. Qu’il soit graphique ou pictural et selon les cas destiné à un volume, ou qu’il se déploie dans tous les sens sur un plan, le geste artistique de Réquichot développe simultanément des techniques classiques et des improvisations « enfantines ». Partant, ses emportements sensibles débordent d’ironie esthétique et d’impertinences plastiques heureuses ; on ne sait s’il faut s’amuser (voir se gausser) avec lui des aventures possibles de l’art ou s’arrimer avec un sarcasme poreux à sa défaite en train de se hasarder à survenir ou jubiler sa refondation avec la foi d’un regardeur imprévisible.

« Un Art Autre, où il s'agit de nouveaux dévidages du réel », Michel Tapié, 1952

 

Sur quelques feux artistiques et quelques expositions parfois à la recherche d’une allumette…

20/10/2023

Lionel Sabatté, Poussière des cîmes…et des forêts chez Ceysson et Benetière

Des paysages de forêts denses, traversées de brouillard et de trous d’ombre la nature se teinte de transcendance… On connaît la technique d’expression visuelle du peintre dont les recherches plastiques s’activent sur l’esthétique mémorielle et métaphysique de la poussière et des dépôts, résidus etc. Il les recueille pour les déposer en tas ou les éparpiller dans des visions ou des sculptures toujours oniriques. Dans cette nouvelle exposition placée sur le thème « Poussière des cîmes », les tableaux conçus comme des panoramiques ou séquencés comme des regards par phases montrent des arbres filtrant des troncs en fatras, futaies et feuillages. Des effets de lumières se déploient en effets de clairières et d’espaces intermédiaires, les images s’environnent d’effets de théâtre où le rêve se justifie de lui-même.

L’expression visuelle de Lionel Sabatté se retrouve dans les esthétiques entremêlées des écritures automatiques scénarisées par André Masson en 1924, à travers l’outil technique/plastique du photogramme et les « empreintes de vent » imaginées par Yves Klein. On suit sans difficulté l’avancement de son travail de mise en forme. Les dimensions temporelles qu’évoquent les dépôts de poussière ou autres relancées par l’artiste chapitrent en ce sens les mouvements d’instauration de son travail in process. La beauté et le succès esthétique de ses œuvres ne s’y limitent cependant pas en suggérant des vues d’esprit plus environnementales que focalisées sur la surface de leur subjectile. Les manières qu’a Lionel Sabatté de chercher la somptuosité des effets d’espaces et de supposer des plans successifs subliment la fragilité intentionnelle du dépôt, de la trace et de la mémoire pour rejoindre plastiquement, de tableau en tableau, des contes visuels. 

 

Andres Serrano, pour le coup plus peintre que photographe

Première exposition de « vraies » peintures de Serrano. Bravant les aspects plastiques de sa production habituellement photographique, Serrano peint seulement… sur des photographies représentant des sculptures mythiques de personnages et de scènes religieuses. Intitulé « The doom of beauty » (Le destin de la beauté) le thème de l’exposition questionne les modèles iconiques dont l’artiste entend défier l’image par la peinture. Le « David » de Michel Ange ainsi que d’autres sculptures grecques et romaines sont ainsi symboliquement « prises à partie » et retravaillées par la peinture vs le geste spontané et la couleur véhémente d’une esthétique expressionniste qui ne ce cache pas d’en être.

Les œuvres sculptées déjà réduites à des vues en deux dimensions et reconsidérées par les moyens de l’image peinte affirment le choix de Serrano de dépasser leur contenu initial, voire de les « retoucher » métaphoriquement en puisant spontanément dans la forme murale du graffiti. Andres Serrano connaît l’histoire de l’art et il sait autant le poids symbolique que les résonnances métaphysiques de ses modèles de référence. Il y a du rituel dan son geste arbitraire et dans ses songes de réhabilitation du vivant contre l’éternité minérale des sculptures. On songe aux actionnistes viennois autant qu’à Arnulf Rainer, chaque vue hurle et prie en même temps. Littéralement confronté aux nouvelles représentations voire au tableau que l’artiste donne de leur célébrité artistique, chaque spectateur devra encaisser les œuvres comme on reçoit simultanément dans le plexus deux coups de poing stylistique et métaphysique.

En souillant et en griffant la chair supposée sanguinolente des corps de marbre avec des taches, en l’incisant et en y laissant dégouliner sa peinture rouge, Serrano fait à la fois gémir les corps et gueuler son geste pictural. La puissance plastique des œuvres tient en écho de ce que chacun préfèrera privilégier : le choc d’exposition créé par le graffiti peint que des images photographiques transgressées ou leur sujet initial symboliquement déplacé.

 

Jonathan Meeze dans ses légendes chez Templon.

Meeze s’inspire cette fois des contes et légendes. Leurs histoires à la fois joyeuses et contradictoirement dérangeantes font place à une peinture tonitruante et dans tous les sens du terme expressive où les emportements de matières picturales gouvernent de toutes les façons possibles, surtout de façon spectaculaire.

Car aussi grandes que soient les peintures et aussi expansive que paraît ou s’affiche la technique du peintre, rien ne brille d’une originalité artistique renouvelée. C’est gai, ça fuse, ça part dans toutes les directions, c’est à priori joyeux et organisé comme un vaste bazar de sensations, d’évocations et d’entendements au premier degré des contes, mais sans bouleverser le cadre traditionnel du tableau ou s’interroger sur le fait pictural voire sur l’apparence expressionniste. On ressort ravi d’avoir vu un spectacle tout à la fois performatif, exubérant, tonique et coloré, mais aussi daté, classé et dépassé depuis des lustres.

 

Robin Kid ; « Kingdom of Ends » (Royaume des fins), Galerie Templon rue du Grenier Saint-Lazare.

Tous les poncifs de l’hyperréalisme et de la brillance technique (parfois jusqu’au trompe l’œil), de la story d’apparence artistique, de l’assemblage d’installation surjouée et du fabriqué clinquant sont réunis dans cette production laborieuse aux allures de combinaisons d’icônes et d’écussons puérils de la société américaine. Y dénonce t-on quoi que ce soit ou au contraire, y fait-on l’éloge de quelque symboles ? Les œuvres « énormes » ne semblent tenir lieu que de paroles bruyantes. On ne (re)découvre plastiquement à peu près rien de qui a déjà été imaginé, étudié et conçu avec talent et sensibilité par Robert Rauschenberg. Entre autres !

 

Qiu Shihua, « Neiguan » (Vision intérieure) galerie Karsten Greve

L’exposition réunit des toiles produites entre 1995 et aujourd’hui. Qiu Shihua est un peintre chinois qui s’intéresse au genre du paysage. On informe que le peintre s’inspire de l’art taoïste en évacuant le superflu et en se concentrant sur le processus créatif de « l’action par l’inaction » nous informe t-on ! lci, l’art du paysage est traduit par des visions symboliquement saturées de lumières où les formes se dissolvent dans un blanc général jusqu’aux limites du perceptible à travers des images quasi monochromes. C’est imposant, très beau et éminemment poétique, mais sans risquer une technique picturale originale ou novatrice. On indique aussi que l’artiste s’est épris des certaines recherches impressionnistes. Ça se voit comme un Monet en filigrane.

 

Monique Frydman dans Sa peinture, chez Dukto quai Voltaire

Monique Frydman annonce peindre « L’autre Rive ». En 2019, c’étaient Les Rives, L’Orée ou Les Aubes. On devine que le paysage et la nature, comme le mouvement instaurateur de son travail en train occupent simultanément toute l’attention de l’artiste, au point de les associer et les fusionner dans des évocations plastiques d’apparences presque subliminales. Monique Frydman creuse et suggère du temps d’intégration picturale en assemblant, en juxtaposant, en superposant des apparitions variées et des aspects visuels par des taches de couleur à la fois harmonieuses et inattendues. Partout les espaces peints augmentés de reprises à la craie et au pastel semblent des champs d’art d’expression visuelle pure. Les zones et les échantillons colorés cessent vite d’être informes pour muer en compositions esthétiques où les matières entre effets de transparences ou de translucidités s’ouvrent à des recherches de rendus à travers lesquels la beauté picturale apparaît in fine exclusivement sensible.

 

André Marfaing, retour sur le passé d’une abstraction picturale, galerie Claude Bernard.

Il s’agit à la fois de « réhabiliter » le peintre, adepte comme Soulage du noir et blanc et de l’abstraction gestuelle et de lui rendre hommage. Même replacée dans son époque (il représenta la France avec Messagier, Poliakoff, Manessier et James Guitet, à la biennale de Venise en 1962), force est de dire qu’aujourd’hui les œuvres apparaissent effectivement datées et d’un style fondé sur l’effusion de la tripe artistique aujourd’hui singulièrement épuisé.

 

 

 

Quelques aperçus artistiques de rentrée

26/09/2023

Laurence Weiner, « Après ici & là » chez Marian Goodman

        Reprise d’une installation en forme d’hommage à l’artiste décédé en 2021. Six téléviseurs présentés en miroir d iffusent des entretiens de l’artiste avec un public ou un critique d’art. Les films semblent défier le présent alors que chaque enregistrement est clairement daté. L’« Après ici & là » résonne dans un entre deux où le temps, se dilate en même temps que les moments des entretiens semblent se confronter.

      On conçoit sans difficulté l’agilité conceptuelle de l’artiste rompu aux usages du langage, qu’il soit parlé/capté, écrit et imprimé ou diffusé.  L‘engagement des mots comme matériau et comme objet d’« installations » est sans cesse mis en perspective esthétique par un travail artistique sur le code visuel du référent. L’aspect provocateur et finement ironique de l’Art Conceptuel et l’extrême intelligence d’un de ses plus intéressants plasticiens (sans oublier Joseph Kossuth, On Kawara, Bruce Nauman, Jenny Holzer, Robert Barry etc. ou toujours d’actualité, Tania Moureau…) résonne curieusement par rapport aux productions figuratives majoritairement narratives et illustratives dont le marché de l’art fait actuellement sa pitance principale.

 

Jules Linglin galerie C

          « Nul n’est remplaçable » ! Mot d’ordre ou seulement thématique d’exposition ? L’intitulé de l’exposi-tion fait place au risque d’un retournement d’impressions et de perspectives artistiques et esthétiques contraires… Jules Linglin peint des portraits grandeur nature sur toile ou dans une approche imprimée de monotype. C’est techniquement brillant, d’une efficacité artistique indiscutablement estimable. Du point de vue de l’expression, une relative intimité traverse les tableaux du fait des face–à–face et des distances réduites avec les modèles. Aucun rapport technique ou artistique avec l’imagination plastique des portraits peints par Rembrandt, Monet, Cézanne, Giacometti, Francis Bacon, Picasso ou David Hockney (et quelques autres pourtant nombreux) : tous irremplaçables.

 

Milène Sanchez en mode « vision rapide, vision appuyée » chez Claire Gastaud.

          Il est question de peintures de fleurs et de natures mortes, de leurs aperçus passagers, diffus ou confus. Il est question d’attention et de mémoire visuelle, de traces et de dispersions, d’emportements gestuels et d’instantanés photographiques, d’apparences et d’images pas convenues… Il est question de tableaux figuratifs sans être descriptifs, d’un geste pictural aussi technique que largement imaginaire. Il est question de visions captées où débordant les surfaces des tableaux simplement peints d’intuitions colorées que de sagacités formelles. Il est encore question d’éblouissement et de confusion esthétique, de recherches plastiques à travers lesquelles « l’artiste jouant avec les flous et les nets tente de capter leurs mouvements et la lumière…qui les rend (picturalement) vivants » ; le propos initial annoncé : «Vision rapide, vision appuyée » induit aussi de comprendre conceptuellement le travail de l’artiste. On conclut qu’une démarche réflexive aussi solide que fructueuse sur les fonds d’apparences de la peinture et de ses tableaux instille par ricochet de probables et autres prolongements plastiques à cette recherche inattendue.

 

Hreinn Fridfinnsson tout en ironie Galerie Papillon

        Le ton est presque donné par la galerie annonçant « Une nouvelle exposition (de l’artiste) regroupant des œuvres de 1970 à aujourd’hui ». On est immédiatement attrapé par les sources d’inspiration historiquement conceptuelles des œuvres exposées. La nature des référents de tous ordres mais surtout esthétiques et les clins d’œil à des courants d’arts historiques spécifiques entrainent la présentation générale de l’exposition. On va donc devoir être sensible aux ressorts d’interprétation d’œuvres manifestement scénarisées pour justement briller par leur théâtralité autant qu’au moindre discours plastique sémantique destiné à « stabiliser » les images pour le spectateur. Ainsi cette photographie de paysage représentant l’artiste « inaugurant » le passage des années 1975/1976 par un saut au dessus d’un horizon fictif ; ou encore cette présentation murale en forme de ligne mélodique entremêlant des données réelles ou pseudo scientifiques sur la composition des couleurs, la réalité des ondes lumineuses et la musique ; ou encore cette installation in-situ dans laquelle l’artiste dispose à la dérobée dans la galerie une feuille d’arbre pour qu’elle se reflète « à l’infini » entre deux miroirs placés en coin sur deux plinthes en bas d’un mur. Incidemment, le sol comme la tombée du mur se dématérialise, le périmètre de la galerie se creuse en incluant l’espace au-delà du mur, le temps émarge dans l’espace du lieu… L’ironie touche à son comble avec le dispositif quasi suprématiste d’une composition murale en léger relief articulant la dispersion orthogonale d’un carré, d’un trait et d’un cercle supposés. Une main tenant un rond présente dans le cercle un pseudo œil qui brise l’ensemble du dispositif plat en incluant dans son espace le regard d’un spectateur fictif… Chaque œuvre vs chaque dispositif d’œuvre déroute pareillement en étant totalement bizarre, de sorte que c’est bien le caractère normalement dérangeant du rôle de l’artiste et le degré malicieux de ses inventions plastiques et artistiques qui étonnent.

         Sans jamais être littéraire ou littéral et en restant aussi cultivé que discrètement disruptif quant à sa place d’artiste, Hreinn Fridfinnsson, historiquement mêlé depuis 1965 avec l’avant garde islandaise dont il a été un des animateurs, poursuit ses manières de parler sérieusement de tout et de rien en réinventant les formes de sa créativité avec autant de talent que de poésie suspendue.

 

« Je suis contre » par « Art orienté Objet » (vs Marion Laval-Jeantet et Benoit Mangin) à la galerie Les filles du Calvaire.

           Bien malin qui saura évoquer l’intérêt technique, plastique et créatif de ces productions que leur nature de choses fabriquées en forme d’objets curieux justifie artistiquement. Je me demande contre quoi s’opposent ces trucs allusivement représentatifs mais qui répètent peu ou prou des créations qu’ils n’ont pas inventées et dont leurs auteurs tentent de nous convaincre en arguant de leur imagination. Plus largement, le paradigme « art orienté objet » a été engagé, défendu avec brio à travers d’autres ambitions et d’autres talents, par exemple, les arts décoratifs (voir le MAD rue de Rivoli), les arts premiers et les arts dit « naïfs » (Bruts, selon Dubuffet), ou par Dada et Marcel Duchamp etc. (Centre Pompidou)…

 

Le « Sunburn » (Coup de soleil) de Laurent Proux à la galerie Sémiose.

         Laurent Proux peint des scènes de genre aux échos mythologiques. Il s’appuie sur des effets de lumières aux échos caravagesques et une gamme restreinte de teintes, marquée par l’idée du feu. Sa technique un peu léchée aussi vaguement illustrative que confusément néo-classique entremêle des allusions à Picasso et à la statuaire… A la fin de son texte à lire dans le communiqué de la galerie, Anne Bonin, curatrice, suggère ceci : « Laurent Proux manie l’éclairage comme un metteur en scène construit un espace scénique précis, avec son action, son ambiance et ses personnages… » Et de conclure : Une activité peut en cacher une autre. » L’insatisfaction que dégagent ces peintures laborieusement peintes et d’une plasticité datée, tableaux dont la composition comme l’arrangement expressivement (voire expressément) scénaristique et décoratif prend l’ascendant sur l’intérêt pictural et justifie qu’on se sente en phase avec cet ailleurs…

 

Ninon Hivert, Le reste des autres, galerie Carole Lambert

      Imaginez l’instant où Ninon Hivert, ayant repéré un objet négligemment posé, voire paraissant abandonné, le photographie comme il est. Ce peut être un blouson, une paire de gants de chantier, un briquet ou une botte oubliés quelque part, un sac à dos déposé au sol… Munie de son document iconique, elle le reproduit en le sculptant à son échelle naturelle et en le peignant selon ses couleurs, le plus fidèlement possible. L’effet trompe l’œil est parfait, on se remémore sans nostalgie des productions hyperréalistes des années 80, sans pour autant les y réduire. On songe aussi que chaque sculpture vise un objet factuellement coupé de son environnement, mis à distance de son usage et comme miné par son fait esthétique, apparemment aussi dévitalisé que neutralisé vis à vis de son ancien propriétaire.

        Bornés à leur apparence formelle, les sculptures semblent être en même temps rien d’autre que des rêves de travail visuel à faire vivre pour un regardeur* saisi par leur étrangeté supranaturelle (et les associer à des Ready Made ne paraît pas déraisonnable). Ninon Hivert s’en mêle, s’entremêle avec leur nature de « trucs » laissés à l’aventure et devenus sources d’art de voir. En les reproduisant in extenso tout en les pensant hors du monde qu’ils représentent comme signes, Ninon Hivert dénote autant leurs référents analogiques qu’elle rend leurs effigies fossilisées spectaculairement gisantes et apparemment anhistoriques.

          « Le reste des autres » renvoie simultanément à des réalités amnésiques et rémanentes. On s’attache à leurs apparences autant qu’à leur virtualité. Les volumes dessinent la vie de leur insertion dans la lumière, les couleurs scandent des préférences esthétiques, leur état vulgaire creuse le sens d’humanités banales, leurs silhouettes d’objet et de modèle rappellent des portraits. Leurs échos à la fois communs et individuels dont Ninon Hivert rappelle les perspectives humaines font entendre la création artistique à l’aune des richesses de son inspiration.

* voir la définition du spectateur métaphysiquement défini comme regardeur par Marcel Duchamp

 

Jonier Marin, Portraits pas vraiment traits pour traits, chez Lara Vincy

        Que retenir de cet ensemble de portraits de personnalités plus ou moins célèbres aux allures de crayonnages délurés ? Jonier Marin s’est-il réellement amusé à faire semblant de dessiner « fa presto »* et donc d’ironiser avec l’analogie et la vraisemblance du croquis ou s’est-il contraint de faire passer la badinerie de son expression graphique pour une technique en même temps éprouvée ? On s’interroge en conséquence sur la perspective désinvolte du geste du dessin, on imagine un travail de remémoration à l’aveugle, un jeu de devinette sur les apparences… Gribouillée avec vigueur et avec une manière assumée d’approcher et rater ses modèles, l’innombrable répétition des « tronches » reprise en toute désinvolture à partir d’images d’archives, rapportées de vague mémoire ou comme « reconstituée à-la-va-vite » par Jonier Marin laisse le sentiment d’une recherche plastique et artistique mue par un objectif de quantité et détachée du sens de sa légèreté d’exécution. On songe de loin à Dubuffet, Picasso ou Artaud, puis on oublie que justement, dans leur Œuvre dessiné, l’art de feindre la spontanéité et le relâchement ou l’envie de gouter au temps des gestes créatifs insouciants va de pair avec la revendication d’un fond d’ignorance conceptuelle et esthétique plus épique et tragique que spectaculaire.

* Fa presto, « à toute vitesse ». La formule est employée dans un texte de présentation de l’exposition.

 

Giacometti, Annette en plus infiniment, à la fondation Giacometti

        Giacometti creuse l’effigie de sa femme. Comme d’habitude dans son œuvre, le sens du dessin ou de la sculpture sera approfondi jusqu’à donner au vrai une aura d’hallucination. L’exposition fonctionne comme un dossier, de multiples documents photographiques, des lettres et des griffonnages plus ou moins épistolaires accompagnent les représentations de l’épouse et indéfiniment modèle de l’artiste. L’exposition, magnifiquement scénarisée, met chaque fois en évidence le génie créatif à la fois technique et sensible d’Alberto Giacometti, capable de repenser l’essence son art comme on songe à peut-être le refonder en âme. Toujours inquiet quant au cadre de son « travail en train », les volumes comme les dessins ou les peintures font planer des perspectives métaphysiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vues de divers aperçus déjà vus par Ron Mueck à la fondation Cartier

14/08/2023

        Ron Mueck est un artiste sculpteur figuratif de style hyperréaliste. Il aime la figure humaine (corps entier ou partiel, jeune ou âgée, nue ou habillée) ainsi que les animaux  domestiques ou d’élevage. Il s’applique à les reproduire rapetissés ou surdimensionnés, seuls ou en groupe et dans diverses situations en s’efforçant d’illustrer à chaque occasion un thème ou une circonstance particulière. On constate aussi que nonobstant ces éléments objectifs distincts, l’artiste apprécie de mettre ses œuvres en scène, en clignant de l’œil avec la statuaire (de préférence monumentale), le bas et le haut relief, voire l’image d’illustration et de temps à autres la photographie documentaire. Curieusement, par ses manières de transgresser les tailles naturelles de ses modèles dans ses sculptures, l’artiste parvient à faire oublier que chaque œuvre agit esthétiquement et en priorité comme un trompe l’œil.

      Après avoir été surdimensionnée ou réduite dans des tailles variables, tantôt minuscules, tantôt géantes, puis in fine après avoir été peinte d’une manière quasi exclusivement documentaire et photographique, chaque œuvre pose d’emblée la question de son apparence d’authenticité et questionne son mode d’expression visuelle. N’étaient-ce ces caractéristiques sans aucun doute prosaïques pour un artiste dessinateur, sculpteur ou peintre réaliste, les re/productions de Ron Mueck impressionnent par le travail strictement technique, qui leur a été utile. Alors qu’à cette aune, on songe possible de limiter son  projet à un exercice d’art appliqué et artisanal, l’importance que Ron Mueck donne par ailleurs à l’installation in situ de ses sculptures conduit à relativiser le paradoxe de leur hyper réalité tout autant que leur hyper visibilité. On est dès lors invité à considérer séparément les intentions de l’artiste et la réalité — devenue discutable —  des œuvres. Que donc regarder en dehors des imitations sculptées ?

       Porté par le mode de présentation des œuvres, un travail d’élaboration plus inattendu et moins « simiesque » semble guider les pas de Ron Mueck vers une forme d’ironie de l’impalpable du vrai. L’artiste attache une importance capitale à l’effet trompe l’œil et son cortège d’envies de confronter ou de vérifier si ce qui est exhibé est factice ou probant. Quelque chose de l’ordre de l’irreprésentable, à quoi s’ajoutent divers détails formellement un peu dystopiques par rapport au connu et une attention particulière à l’expression des gestes ou des mouvements, tout cela suppose des approches et des temps de réflexion à propos des écarts et de leurs échelles. Reste à discuter de la réalité de ce qui est montré : simulacre ou pastiche, on songe au duel pictural entre Xeuxis et de Parrhasios. Côté spectateur, on hésite entre parodie et imitation. Le piège se referme pour l’essentiel sur « l’hors jeu » des transgressions par la taille.

      L’envie d’imposer au spectateur des différences de tailles qui ne se cachent pas d’être spectaculaires, voire dérangeantes, et toutes choses par ailleurs égales « hors réalité » suggèrent d’autres objectifs à cet art jugé incontestable. L’effet trompe l’œil effaçant les preuves d’image, il faut paradoxalement supposer un fond autre, sans doute de nature expérimentale sinon théorique. On remarque que dans le fil des mises en valeurs étranges de son travail d’exécution, le travail iconique d’hyperréalité décode aussi une description visuelle certes habile, surtout naïve des modèles. Les reprises annoncées de styles artistiques classés comme la statuaire etc. annoncent une galerie d’images illustratives comparables aux définitions liminaires d’une encyclopédie. En utilisant des compositions fabriquées plus théâtrales que des dispositifs d’instaurations poîétiques, Ron Mueck use de la vue dite « d’artiste », principe connu des mises en situations fictives qui donnent du champ imaginaire à un projet (pré)encadré. On s’interroge incidemment sur la restitution détaillée des rendus, la démonstration artistique de leur scénarisation esthétique dans un site où l’imagination devrait à priori déborder. Les réalités de Ron Mueck ont t-elles pour objet une « nouvelle » piste intellectuelle pour la création artistique ? Cherche t-il à pallier l’impression d’un fond insuffisant de son art sculptural si particulier ? Aussi mimétique qu’elle semble depuis des années, sa production paraît murée dans sa forme exclusivement hyperréaliste, au point qu’on la songe en creux « monumentalement » appareillée à un fond de critique insipide.

       Peut-être faut-il revenir sur le modèle du style hyperréaliste pour se concentrer sur l’incon-gruité de présentations dont l’artiste revendique l’exactitude sous les flagrances du reproductif et de l’identique. Seuls des yeux avisés ou du moins des regards divergeants peuvent repérer des « anomalies » de formes, et conjointement d’images, dans les silhouettes sculptées et peintes à l’image de leur modèle ; et donc seuls des plasticiens accoutumés aux aléas des jeux d’expressions visuelles peuvent discerner entre les écarts de formes et d’aspects provoqués ou accidentels. Que peut-on donc encore remarquer de si anormal (ou de si étrange) que le réalisme des reliefs et des œuvres d’abord indiscutable change de vérité, et que la conformité des sculptures avec leur modèle tombe ? Une documentation montre l’artiste s’appliquant à esquisser la silhouette d’un chien gigantesque sur un papier étalé sur un mur. Un autre témoignage le montre modelant avec précision une figure humaine dans une posture particulière. L’extrait d’un film permet encore de le suivre en train d’étudier la disposition future vs la composition esthétique d’un ensemble… On remarque chaque fois l’artiste penché sur son geste du travail, digitalisant presque ses applications et progressant attentivement dans le dessin des sujets, leur composition et leur aspect visuel, les proportions des volumes et leur proximité avec le  « vrai »,  le miroir de son travail comparant le réel avec sa fiction. On peine à qualifier certaines apparences d’exagérations dans les sculptures, certaines déformations ou certaines transformations. D’allusives distorsions comme les allongements irréguliers du cou ou les différences de proportions des chiens représentés dans Three dogs (2023) interrogent. On est pareillement disposé à s’attarder sur les volumes à la fois réalistes et intrigants de « A girl » (2006), ou encore sur le changement d’échelle instillant du fantastique entre les personnages et l’animal dans « This little piggy (2023) ou dans Man in a boat (2002). Faute d’autres réponses que celles à la fois techniques et hasardeuses de choix esthétiques personnels ou d’une démarche répétitive et plus descriptive qu’imaginaire, on se  résout à voir l’artiste « élastiquant » arbitrairement dans tous les sens l’image de ses modèles plutôt que chercher à évoquer une pratique marquée par un imaginaire poïétique.

         Au lieu de bousculer un style hyperréaliste dont il use et se réclame, le travail à la fois daté et spectaculaire de Ron Moeck donne le sentiment de subir un mimétisme. L’authenticité foncière de son travail ne renouvelle ou ne rebondit pas sur l’effort conceptuel de la sculpture hyperréaliste des années 1970, notamment en Angleterre, et elle n’est pas non plus une nouvelle étrangeté expressive et artistique de la sculpture réaliste spécifique au 19e siècle. Les œuvres semblent sans questionnement ni projet approfondi.

        Cette troisième exposition de l’artiste à la fondation Cartier rappelle à frais nouveaux un art aujourd’hui appauvri quant à l’étrangeté poïétique de la pure similitude en art. Le décalage de ses œuvres avec les productions sculpturales à la fois photoréalistes et hyperréalistes de John de Andréa ou de Duane Hanson, ou encore des peintres comme Jean-Olivier Hucleux ou Chuck Close dans les années 1970-1980, tout cela a des airs de redites laborieuses. La naïveté de ses sculptures et leurs scénarisations remarquables n’a pour intitulé que l’écart historique et l’oubli un peu trop visible de ses prédécesseurs.

Faims de peintures et menus de galeries

03/07/2023

L’imaginaire des grouillements graphiques de Wols chez Karsten Greve

    L’actuelle exposition consacrée à Wols par la galerie Karsten Greve permet de voir des œuvres sur papier aussi minuscules que stupéfiantes dans leur poésie graphique. Wols, dont la galerie veut saluer la mémoire et rappeler l’importance de sa peinture informelle dément pas ces dessins l’inanité d’un jugement définitif sur le caractère abstrait ou figuratif de sa pratique.
    Dans chaque œuvre, les gestes du trait s’accumulent, à la fois incisifs et allusifs, affutés et hypothétiques, élancés et évanescents. On les regarde comme s’ils n’étaient incarnés par rien, juste existants, et pour cela curieux, et encore, pour cette raison bizarres, captivants… On imagine l’artiste autant préoccupé par leur somme que par le sens incertain de leur masse. Est-il aussi en train de les assembler pour donner à la surface de son support le rôle d’un champ de curiosités visuelles ? Chaque image émeut par l’intimité de son apparence, foisonne d’inventions esthétiques réelles et accidentelles, on devine l’attention de l’artiste mobilisé par son avancement constamment in process. 
    D’où vient-il que l’artiste a arrêté sinon admis ce mouvement dans l’état passager où on le voit ? Imaginons Wols satisfait d’être interrompu par un point de vue qu’il n’avait pas imaginé et qui l’incite à se découvrir lui-même artiste naissant.

 

« Peintures rares, peintures récentes » de Stéphane Bordarier à la galerie ETC 
    Dans un beau texte d’introduction sur l’exposition, Catherine Millet juge la place que Bordarier accorde à la couleur comparable ou comptable de la posture intellectuelle de Cézanne : « Quand la couleur est à son intensité, la forme est à sa plénitude ». C’est, me semble t-il, un peu oublier plusieurs choses de nature aussi bien techniques que liées à l’apparence peinte.
    Sans doute est-ce à ce titre que les mots qu’elle utilise pour définir les impressions que lui suggère le travail du peintre renvoient davantage à des recherches autour du dessin et de l’architecture de la composition plastique que d’une approche par la couleur et ce qui la détermine. Les constructions plastiques de Bordarier échappent pour ces raisons au paradoxe cézannien d’une image peinte comme une apparence sans paraître aussi provisoire qu’incertaine sinon purement et à ce titre conceptuellement comparable avec le monde pictural de Cézanne. Catherine Millet concentre précisément son propos sur des effets esthétiques en oubliant que Cézanne construit un regard sur la relativité de la forme, à la fois vue et aperçue, peinte et exposée comme une vision. De son côté, Stéphane Bordarier  pense le tableau et la toile comme deux étendues. Il peint en essayant la rencontre objective de deux surfaces tout en cherchant chaque fois à initier un ensemble « (1+1)= (1+1+1)». 
    La manière du peintre ne se cache pas d’être datée, à l’instar des ambitions plastiques/critiques du groupe Support-Surface dont il rappelle par rémanence le risque artistique d’un formalisme. Le peintre occupe (occulte) la surface avec une forme colorée à l’instar d’une silhouette abstraite simultanément esquissée et disposée avec l’aura d’une composition formelle. Catherine Millet évoque opportunément un travail de nappage d’une couleur unique et homogène et poussant à un tachisme aux contours incertains : « une forme déchiquetée, parfois une forme fermée »… De son côté, le peintre évoque des interactions et des reflets entre la teinte étalée et la matière ou la couleur sous-jacente de son support toilé, des gestes de remplissages et d’étendages intuitifs, d’autres gestes comme des traces lyriques. In fine, l’œuvre peinte expose des configurations et un projet d’expression visuelle avec une aura pédagogique : « (1+1)= (1+1+1)». On parle de limites connues et prévues de son travail, des recherches de réflexivité du peintre aux prises avec l’avancement de son travail.
    Les mouvements de déploiement et d’étendage de la couleur permettent au peintre de silhouetter des formes plastiques sans contraintes illustratives ou expressives. Selon lui, le tableau peut se concevoir comme une aire chromatique sans autre intitulé que sa datation et un champ visuel n’engageant que les propriétés physiques de l’objet peint : sa forme et sa  surface  ou son cadre géométrique suffisent. D’un peu loin et subjectivement, on songe aux silhouettes découpées de Matisse, avant d’encore plus loin, oser parier que le contenu artistique d’une peinture de Stéphane Bordarier pourrait jouer d’égal à égal avec le projet pictural expressif et intellectuel de Cézanne… 
    « Aurai-je le temps d’exprimer ma petite sensation »*, la toile vs le tableau est pour Cézanne à la fois un horizon sensible et un espoir d’expression personnelle. Maurice Merleau-Ponty dit de sa peinture qu’elle est « un paradoxe en ce sens qu'il recherche la réalité sans quitter la sensation »**. La couleur instruit qu’il faut l’activer pour « électriser » conjointement deux dispositifs sensibles dans un mouvement d’instauration plastique et visuelle capable de se sublimer en apparence peinte. Rien de la « description » de la forme par l’espace qui l’environne ou des propriétés formelles de la couleur n’échappe à son projet concentré sur la charge instauratrice et artistique de son regard sur le mouvement de l’œuvre en train. C’est à ce titre qu’en parlant de volume, Cézanne peut aussi bien s’appuyer sur le modelé des reliefs que sur le modulé des teintes colorées par la lumière. C’est à ce titre encore que Cézanne ne conçoit un effet de teinte uniforme qu’à travers une multitude de teintes diverses mais vibrantes au contact de leurs valeurs d’intensité entremêlées. Loin de cela, Stéphane Bordarier joue la teinte locale, limite l’intensité de la couleur et l’impact d’une surface entière uniformément peinte à un échantillon. La forme de Cézanne surgit dans une apparence conceptuelle structurée d’espace, de lumière et d’événements du regard ; Stéphane Bordarier compose des nappes teintées, arbitrairement promues univers plastiques. 
    De la même façon que le cubisme a pu être à l’origine d’une belle approximation des aléas du regard instaurateur de Cézanne, les peintures de Bordarier sont intéressantes par sa manière personnelle de poursuivre (cependant à frais nouveaux) et risquer les propositions théoriques critiques (voire doctrinales) du groupe Support-Surface.3 Catherine Millet discerne avec talent des processus créatifs (et semble penser à certains artistes du groupe) à propos desquels son engagement comme critique et historienne de l’art est connu. Les œuvres par nature aussi confusément conceptuelles et abstraites de Stéphane Bordarier reprennent et exposent des principes semblables : l’œuvre en train se borne à un travail d’étendage minimaliste et informe de nappes monochromes mates, couvrant majoritairement ou de façon aléatoire des rectangles initialement blancs qui servent de support voire de socle. Les idées de Cézanne et de Bordarier peuvent évidemment être confrontées ou/et mises en perspectives l’une par rapport à l’autre. Dans cet enjeu où l’objet et la surface du tableau dépendent l’un de l’autre de la circulation des regards, il revient à Cézanne d’avoir interpellé non pas formellement mais conceptuellement le rôle aussi bien local qu’environnemental et instaurateur de la couleur pour l’apparence peinte. 
        Si chez les deux artistes, la forme et l’informe (et non l’aforme) se mélangent sans s’opposer, se contredire ou dépendre d’un horizon conceptuel, l’abstraction, comme processus et comme esthétique reste un point nodal où les approches plastiques des deux artistes apparaissent difficilement « rapprochables ». Il est juste de dire que Bordarier met en pratique une grammaire visuelle formellement expressive et qu’il s’y tient avec talent. Le plus du désir de sensibilité artistique de Cézanne est, me semble t-il, qu’un tableau stupéfiant ne saurait être cerné de toute part.

*Cezanne, Correspondance. **Maurice Merleau Ponty, Le doute de Cézanne

 

« Le regard comme une vue, sans cesse » de Jeremy Liron chez Isabelle Gounod
    Jéremy Liron peint des paysages réalistes comme on peut enregistrer et conserver la vue particulière d’une contrée. Les tableaux, de dimensions panoramiques ou de la taille d’une note colorée, sont composés avec une rigueur imparable. La plasticité de chaque image stupéfie par son iconicité et les techniques d’expressions employées. Toutefois, une impression pointe qu’il s’agit davantage de vues spectaculairement peintes que d’expression d’un regard critique sur le mouvement d’instauration aller et retour pour le peintre et le spectateur.
    L’artiste mobilise en même temps le réel et ses apparences peintes avec des finesses créatives qui ne se cachent pas d’être artistiquement aussi cultivées qu’habilement intuitives, voire d’une aura d’innocence qui interroge. Je voudrais précisément m’attacher à cette aura un peu particulière dont on n’arrive pas à se défaire et qui agit sans qu’on sache si elle est réellement improvisée ou imprévue esthétiquement.
    Les tableaux déclinent des vues sélectives de divers paysages. Chaque image cadre une morphologie, un angle de vue, un détail esthétique : chaque peinture fait place à une sorte de périphrase formelle d’un lieu remarquable pour sa composition plastique naturelle. Plutôt que des panoramas généraux, les peintures (re)composent ainsi des photographies surprenantes, concentrées sur des aspects particuliers.
    Les peintures sont frontales, les sujets suivent parallèlement le plan de la toile sans effets de dégradés ou de perspective. Pour l’essentiel, Jérémy Liron construit des espaces en découpant, en superposant ou en recoupant les plans les uns par rapport aux autres. Un jeu répétitif avec le statut du premier plan et d’une forme d’aporie de la pratique du peintre creuse les peintures et les vues en instillant une aura troublante. Le peintre semble régulièrement vouloir ménager un plan admoniteur comme premier plan et seuil du regard dans chaque peinture.
    Les rapports entre lumière et ombre suivent un processus semblable, chaque zone est définie comme un lieu d’éclairage ou une zone non éclairée.
    Le dessin domine à travers le cadrage et la composition sensiblement prioritaires. La couleur joue un rôle de coloration imageante, son pouvoir esthétique s’étend et varie plastiquement selon un paradigme de nature lui aussi compositionnel. Ses variations de vivacité, d’intensité voire ses harmonies apparaissent nuancées en fonction de codes plus analogiques qu’atmosphériques. Tout soutient l’idée que peindre est un travail du regard sur l’image et la vue qu’elle soutient. La peinture de Jérémy Liron dérange en ce que l’artiste semble parfois improviser son travail et en même temps le réduire à une apparence analogique et photographique. L’art de produire un tableau qui ne se cache pas d’en être un s’efface devant une vue confinée à son modèle. La peinture comme geste et mouvement d’instauration peine à s’imposer face à la vue photographique. Le sens du « cadre » se brouille et se borne en même temps que le regard du spectateur s’intellectualise en subodorant des geste sensibles et des habiletés techniques sous l’apparence lissée des peintures. Partant encore, l’impression que les tableaux se répètent stylistiquement et font buter la recherche sur le mur de l’image opacifie l’idée d’une fonction mobile du regard.
    Avec l’expérience installée d’un doute quant à l’intérêt purement pictural des œuvres, Jérémy Liron livre à cru des expérimentations plastiques à contrario indéniablement expressives. La quasi absence de perspective et la frontalité de l’image peinte, le rôle régulier d’un motif curieusement cadré ou placé sous l’éclairage forcé à la fois réel et fictif d’un plan admoniteur, tout cela contraint à regarder et parfois à surprendre des manières de peinture brute aux effets disruptifs. Il s’agit d’un geste horizontal décrivant le tracé d’un bord imaginaire du tableau, l’apparence d’une reprise de son cadre, mais aussi le soulignement du motif ou son écho longeant horizontalement le bord inférieur de la toile et instaurant le seuil de la peinture. Ailleurs, il s’agit de coulures ou de surfaces incomplètement peintes, d’une composition oubliée qui, de ce fait, semble « pas finie », voire incomplète. Il s’agit d’un ordre esthétiquement évasif, laissé à l’appréciation du spectateur ou bien, selon Umberto Eco, d’une œuvre s’ouvrant à elle-même**. In fine, ça peut encore être des traits d’esquisse laissés visibles, des silhouettes de début de travail en cours… tout plein d’insuffisances ou de libertés sur le fond desquelles, à l’instar de recherches de Cézanne sur « la vérité en peinture » ou en résonnance avec la suggestion qu’« En peinture, on peut jouer avec tout »***, le regard du peintre comme celui du spectateur, tous deux aussi sensibles que perplexes devant la peinture, tentent de concevoir quelle forme de visibilité peut être plastiquement mise en œuvre pour agir en peinture et en même temps troubler le regard.

**Umberto Eco, L'œuvre ouverte, éd.Points. **Cezanne, Correspondance, ibid. ***Jeremy Liron, Entretien avec Mathilde Wagman, Radio France, 9 juin 2023.

 

« Cosmopool », ou l’effet d’irréalité contextuelle du pictural par Julie Navarro, Galerie Liusa Wang
    L’exposition se compose d’une série d’œuvres peintes sur des rectangles de gaze tendus sur des châssis. On remarque d’emblée que l’artiste désirant jouer avec la transparence du textile a cherché à construire son travail sur l’entremêlement de divers plans possibles du subjectile en partant de l’épaisseur de son châssis. Chaque tableau mute ainsi en objet en même temps qu’il se dématérialise en se spatialisant et en temporalisant son usage. Julie Navarro suggère que les Nymphéas peints par Claude Monet ont été une source inspiration. Peu ou pas de motif avéré si ce n’est la prégnance tramée de sortes de nuages composés de pixels colorés dispersés au hasard de la résille qui sert de toile et préalablement tendue sur les cadres aux résonances de découpe imaginaire. La conjonction des plans superposés, des nuages de pixels éparpillés et la dispersion pointilliste des pixels provoquant mécaniquement des effets cinétiques et des moirages, tout laisse croire Julie Navarro prioritairement intéressée par l’art optique. L’apparence détaillée des divers artefacts formels et esthétiques témoigne aussi d’autres choix expressifs : Julie Navarro poursuit à leur contact ses recherches sur l’imaginaire contextuel des œuvres.
    En superposant et en décalant en même temps les plans transparents pour que l’œil peine à se poser durablement ou à suivre un chemin d’image, Julie Navarro semble vouloir établir des visions en train de diffuser dans l’environnement. Le regard se floute sur la réalité matérielle et esthétique des œuvres dont rien n’assure qu’il s’agit de tableaux isolés ou que l’artiste nous met face à des mirages. On se demande ainsi de quelle sorte de monde physique et sensible elle se réclame et, en partant de la réalité purement plastique de leur preuve, l’hypothèse s’instille d’un temps d’apparition poïétique des images. La possibilité et le paradoxe qu’aucune d’elles y suffise et que la vue soit en même temps une aventure incertaine, tout suit un mouvement qui évoque pour chaque œuvre une autre esthétique en train de se produire. Quelle sorte de travail artistique anime donc les œuvres de Julie Navarro? Songe t-elle qu’il faut viser des réalités d’atmosphères, l’illustration de rêves ou l’invention d’illusions ? Avec ses diverses manières de mettre simultanément à l’œuvre sa production artistique et le contexte artistique qui l’anime, elle présume qu’avec le travail artistique, il y a tout lieu de se perdre en conjecture. A moins qu’il s’agisse de situations paradoxales dans lesquelles le spectateur doit se calculer comme regardeur/réalisateur de ce qu’il trouve à voir ?
    Dans la galerie, les tableaux de divers formats se défont puis se recomposent de façon aléatoire pour devenir tour à tour intemporels et immanents. Il semble que Julie Navarro prend son temps avec la matérialisation de son travail, transformant même ce temps qu’elle renonce à maîtriser à vue d’œil en une incorporéité qui rappelle celle des anges. Le mouvement de conceptualisation qui opère dans le regard fait signe que les apparences ont peut-être partie liée avec l’annonce des anges. En montrant des œuvres à peine peintes, il s’agit d’engager la peinture vers la faculté d’apparaître dans un mouvement de « Je ne sais quoi et de presque rien ». Partant, d’où Julie Navarro tient-elle que son travail peut à la fois être factuel et prendre la forme d’un mirage sur le mur de la galerie ? S’il est indispensable d’accepter le présent pour rêver, on peut, avec l’artiste, songer à surprendre l’esthétique des tableaux qu’on contemple en même temps qu’ils paraissent irréels. C’en n’est pas fini avec les « Cosmopool » de Julie Navarro.

Quelques expos…et quelques modes d’arts.

31/05/2023

Frank Stella chez Ceysson et Bennetière
    Ces dernières années Frank Stella a créé une manière de « peindre en volume » à la fois réjouissante et décomplexée. En faisant fi de l’histoire abondamment illustrée des rapports de la peinture et de la sculpture, il requestionne à sa manière, dans les deux sens, l’objet esthétique de la forme peinte et le traitement de l’espace pictural. Ses manières d’interroger la forme du geste artistique avec autant d’humour désinvolte et de sagacité que de lyrisme forcent la surprise autant que l’intérêt.
    Les peintures dont la silhouette en trois dimensions les rend partiellement indéfinissables semblent surgir du mur et bouleversent sa planéité d’origine. Entremêlées de parties purement filaires et de champs abstraitement colorés, de structures d’allures géométriques ou de découpes hasardeuses, leurs compositions aussi gribouillées qu’apparemment agencées par des coups de vent instillent autant d’images fantasques que d’architectures éphémères. Qu’y voir qui soit rationnel ou arbitraire si ce n’est des sensations en cours de révélations ? D’une expérience à l’autre, un défi semble proposé : se laisser prendre au jeu des découvertes et bâtir pour soi le plaisir de jouir d’un présent qui apparaît.
    L’artiste veut-il par ailleurs suggérer une façon de réfléchir ou de revenir sur certains aspects simultanément géométriques et tout en all over de sa production sur toile de ses débuts d’artiste minimaliste ? Les œuvres semblent faire remonter des préoccupations esthétiques anciennes et peut-être résoudre des insatisfactions artistiques qui attendaient des libertés créatives inconnaissables à ce moment.
    L’essentiel est que les œuvres brillent d’une plasticité éclatante et généreuse. Leurs compositions hétéroclites étonnent et renvoient à la maîtrise à la fois cultivée d’un art autoritaire dans son désordre trompeur et passionnant par ses dégagements esthétiques. Contradictoirement, elles incitent à relativiser les productions narratives, descriptives ou illustratives et la plupart du temps apathiques et techniquement gnangnantes  actuellement en vogue dans nombre de galeries.

 

Germaine Richier à Beaubourg
    La rétrospective est ordonnée chronologiquement, elle permet de suivre l’évolution de l’inspiration de l’artiste sur le plan des thèmes comme sur celui de son approche formelle de la sculpture.
    D’abord centrée sur la pratique de la statuaire, l’œuvre évolue d’une expression descriptive vers des idées de configurations symboliques puis vers des propositions théâtrales et environnementales parfois proches de l’installation, ou vers des suggestions majoritairement illustratives. Si les productions dans un style de statuaire ainsi que les portraits sculptés dans la ligne de Maillol et de Rodin du début sont sensibles et complexes dans leur beauté volumétrique, et si, par la suite, jusque vers les années 1955, l’évolution de son travail vers des compositions hybrides faites de silhouettes animales et humaines fascine, et si à cette occasion l’imagination de Germaine Richier déroute par la poïétique de leurs configurations, en se figeant dans des visions formalistes et anecdotiques, les productions « finales » (elle meurt en 1959) deviennent « bizarres » et perdent de l’intérêt plastique. L’art de Richier finit par entretenir avec la figuration, et peut-être avec la peinture, un dialogue incertain dans lequel des questions spécifiques à la description ou à la narration et à l’espace semblent biaisées par la superficialité d’apparences sculptées plus « racontardes » que suggestives. 

 

Les Non-lieux de Dubuffet à la Fondation éponyme.
    Dubuffet explique que l’intitulé des « Non-lieux » est à prendre au sens quasi juridique du terme vs « il n’y a plus matière à poursuivre…»1 : d’où des peintures, qui comme les « Mires » qui les ont précédées, puis les « Donnée », les « Idéoplasme » ou in fine les « Activation », apparaissent seulement « faites comme elles sont ». Le peintre récuse l’idée même d’un fondement humain à l’imagination, jusqu’à poursuivre : « Il n’y a pas de matière, rien qu’élans énergétiques »2.
    L’exposition, magnifiquement présentée, permet de méditer sur la finesse conceptuelle du travail d’investigation esthétique du peintre semblant tenté par l’idée d’un Œuvre ultime. Sa dernière peinture — volontairement « toute dernière », est présentée en même temps qu’une sélection de dessins au feutre intitulés « Activation » et conclut sa vie d’artiste (âgé de 85 ans, il disparaît la même année en mai). 
    Les œuvres peintes sur un fond noir apparaissent toutes faites de dépôts et d’entrecroisements de gestes de dessiner et de peindre simultanément en même temps que de possession et de libération du support de sa nature esthétique voire ses moindres codes. Il n’y a rien d’autre que des inscriptions mouvementées et des traces irrégulières et spontanées ou semblant fortuites, détachées, et purement arbitraires. Qu’elles soient colorées ou que leur chromie soit réduite à une ou deux teintes, les œuvres ne montrent que ce que l’artiste, à priori, a engagé esthétiquement et en vérité produit. 
    Restent des tableaux peints d’une densité formelle et visuelle d’une présence et d’une expressivité plastique exceptionnelles, d’une beauté conceptuelle ne consentant de s’allier qu’avec le silence. Restent des compositions faussement « hors sol », faussement hors temps, illusoirement détachées de tout ou réalisées sans projet ni histoire(s). Reste une expérience esthétique là encore « sans filet »3 et d’un « art autre »4. Demeure une exposition où méditer l’art de créer son fait de peindre fascine autant qu’il déroute et subjugue par l’intrépidité d’être libre.

 

1–Jean Dubuffet, Bâtons rompus, Minuit, 1986, p.94. 2–Présentation, septembre 1984, in catalogue des travaux (Non-lieux) fasc..XXXVII, Minuit, 1989, p.7. 3–L’expression est de Samuel Beckett à propos de la peinture de Geneviève Asse, et en perspective de Bram van Velde, Tal Coat… 4– Un art autre, Michel Tapié.

 

Hippolyte Hentgen chez Sémiose
    L’exposition s’intitule « Flirt » et consiste en des collages d’images prélevées dans la revue « Femme pratique ». De format sensiblement identique à la revue éponyme, les compositions entremêlent les vues et ironisent sur les codes plastiques sémantiques des moindres contenus. Un trouble poétique s’installe à mesure qu’on délie ou qu’on détache, puis qu’on replace les extraits étrangement collés. L’étonnement s’accroît en repérant des rapprochements en toute apparence purement esthétiques et qu’en passant, on s’amuse de la liberté assumée avec sensibilité des deux artistes.
    L’idée de mélanger des sources de composition pour produire ou flirter à distance avec leurs valeurs documentaires poursuit des tactiques d’illustrations et de suggestions aussi variées que diversement datées. Par sa maîtrise tactique et technique, l’ensemble des œuvres exposées n’empêche donc pas quelque comparaison spécifique avec l’histoire héroïque du collage comme procédé, et des attentes poétiques et critiques de ses utilisateurs. « Artiste à 4 mains », le duo Hippolyte Hentgen orchestre pour sa part assez de cohérences pour que chaque œuvre tonne ou résonne d’engagements personnels et artistiques convaincants par leur beauté plastique.

Will Cotton chez Templon rue Beaubourg
    On prévient : l’artiste se veut engagé, un article annonce un art caractérisé, une quasi peinture à message… Il est dit aussi que « l’exposition s’inspire de la notion de « trigger », devenue un concept politique aux USA : gâchette, détonateur, déclencheur vs il s’agit de prévenir les situations potentiellement porteuses de stress post-traumatiques… Je songe à de grandes interrogations humaines : conflits, racisme, minorités économiques, questions de genres etc. J’imagine l’art provocateur d’un lanceur d’alerte…
    Les thématiques LGBT ne sont pas contournées. Will Cotton pratique la métaphore et l’inversion transgressive des thèmes jusqu’à leurs limites interprétatives. Les moindres détails accusent une volonté de correspondance sinon d’index ou de mise en perspective descriptive : un cow boy est représenté de diverses manières par une jeune femme généreusement pourvue dans l’attitude conquérante d’un dresseur dans d’un rodéo. Le cheval est une licorne peinte en rose bonbon qui se cabre ou se soumet, la « cavalière » est mise en scène dans une pose combattante ou lascive, un pistolet éventuellement placé à l’endroit de son sexe… Chaque image draine et entremêle avec autant d’humour et de connivence à plusieurs degrés diverses allusions au cinéma et à la vie américaine. 
    Restent les tableaux, composés comme des chromos sucrées et un peu porno de pin-up affichant leurs attributs dans des scènes ou des poses explicites. Chaque sujet est cadré dans la partie centrale du subjectile, l’expression visuelle des formes est souvent vaporeuse et comme traitée « au pistolet à peinture ». Rien n’indique autre chose qu’un travail d’exécution apparemment technique et en réalité peu curieux des effets de questionnement induits par l’expérience et un art in fine sans autre intérêt que son insertion dans des thématiques en vogue et illustrées avec d’autres talents d’artistes. Si tout peut à priori relier le propos métaphorique initial, cette production est in fine aussi piètrement superficielle que celle que ferait « très sérieusement » un étudiant évanescent. 

 

« Paper poetry », par Philippe Marcus 44, rue Volta… 26/27 mai
    La mise en balance des deux formes conjointes d’une installation in situ et d’un happening attire l’attention sur les sources d’inspirations de l’artiste aussi passionné de street art  et de bd que d’art contemporain. Elle parle aussi d’une ironie voire d’une manière espiègle de s’exprimer sur l’opportunité et la brièveté prévue de son exposition et l’impression durable qu’elle peut laisser au visiteur.
    Pris par le temps, Philippe Marcus a donc imaginé son travail de plasticien sous les auspices et par une intervention agissant à l’aide de plusieurs retournements conjoints. Il y a d’abord un hommage à Claude Rutault dont il a été l’élève et l’assistant. On remarque en second lieu la suggestion piquante d’une inversion dans les deux sens de l’espace de la galerie avec celui de la rue. Pour finir, on repère que l’artiste a scénarisé ses outils d’expression dans le sens d’un clin d’œil artistique minimaliste avec la beauté artistique.     
    D’abord, Philippe Marcus a donc dispersé/disposé des toiles blanches non peintes sur les murs laissés blancs de la galerie et il a aussi vaguement pavé un plafond fictif avec d’autres toiles également blanches dans un ordre apparemment diffus. Partant des mêmes caractéristiques illusionnistes, il a transformé l’environnement de la galerie en extérieur imaginaire. Pour conclure il a collé partout et sans aucun ordre préconçu des lambeaux de papier kraft brun de tailles diverses et fait en sorte qu’ils chevauchent par hasard et en partie les toiles. Le tout suggère l’image d’un lieu esthétiquement marqué par le temps en même temps que des tableaux rapportant par bribes l’histoire d’un site urbain. 
    C’est peu dire que l’intervention plastique de l’artiste brille de simplicité et de force. Sa sagacité et sa réactivité devant l’usage expressif du temps de son exposition comme espace à la fois concevable et onirique trouvent dans la sobriété des moyens d’expression une manière de révéler les perspectives de son art en cohérence avec une place émouvante réservée aux spectateurs. 

Des peintures diverses, sinon autres.

20/04/2023

Les expériences de l’atelier et du white cube fusionnés de Danièle Gibrat
    A la fois dessinatrice et sculptrice, dessinatrice et conceptrice d’œuvres in situ, dessinatrice et inspiratrice de collages, chroniqueuse d’une histoire en partie familiale et que sa mémoire résume d’œuvre en œuvre à un narratif émietté, Danielle Gibrat rapatrie et s’inspire de faits sensibles dont elle priorise plastiquement l’entendement. Son art, paradoxalement d’un seul coup réaliste et séquentiel, aussi silencieux qu’implicite, parle d’une région valonnée. On peut ajouter un art discret mais imposant.
    Dans son atelier d’artiste, le blanc radical des murs met en perspective un white cube intérieur dont l’enveloppe par nature est virtuellement chargée de projets à venir. La configuration du lieu avec son sol et le faufil des murs, son plafond aussi, tout fait office de support et chevalet, socle et surface de monstration d’un travail en train ou posé. L’intérieur dont l’éclairage module la concavité et fait évoluer l’architecture de vitrine en alcôve joue un rôle scénaristique. 
    Les œuvres sont partout et à des endroits précis : à hauteur d’œil ou au-dessus et parfois au sol, à cheval entre deux murs, pavées en mosaïque, partiellement superposées ou faussement dispersées en puzzles. Il arrive que l’artiste y mêle des clous, comme des étoiles dans une nuit brumeuse ponctuée de traits d’unions sculptés dans des extraits de charpente, de poutres et de racines d’arbres. On imagine ponctuellement les coupler ou les entremêler comme Il se trouve aussi que des indices à la fois plastiques et sémantiques précisent un motif et le rendent transparent. Danièle Gibrat détermine un peu la composition et l’emplacement de ses études dessinées en fonction d’un paysage en partie mental.
    De toutes façons, les agencements des œuvres conçues à l’insu de correspondances qui troublent l’imagination même de l’artiste, semblent devoir se confondre, émerger lentement du mur blanc ou simplement y avoir été posées pour qu’une histoire s’en dégage peu à peu. Des fils se rembobinent et une aura s’immisce, l’atelier prend des airs de studio de projection ou de salle de théâtre. Danièle Gibrat « opportunise » « son » white cube comme un lieu d’activités pointillistes où l’art peut s’apparenter à un monde décousu de multiples inventions visuelles. Individualisées ou rapprochées jusqu’à être pensées ensemble. Toutes choses par ailleurs égales, les œuvres se prolongent dans la réalité de l’artiste à travers un storytelling imaginaire.
    On ne peut parler que de sensibilité et d’inventivité expressive. Dans son atelier ou dans son white cube, Danielle Gibrat use d’opportunités de recherches esthétiques ou évoque des divagations poétiques intensément disruptives sur la forme plastique du narratif. Au lieu de s’attarder sur une origine supposée réunir les deux lieux durablement, les distances et les directions que la mixité de ses techniques de création et de réalisation favorise, ses manières de rendre les moyens instables ou de laisser planer un doute sur leurs origines artistiques questionnent autant qu’ils captivent sur cette perspective. La mobilité de son art fait œuvre et perturbe l’expression visuelle, au point qu’à propos des palimpsestes ou de l’aperçu d‘un inattendu révélé et plus métaphysique, tout justifie qu’elle persiste à pratiquer une imagination invariablement multiforme.
    
L’expressionnisme conventionnel de Jan van Imschoot chez Templon Beaubourg
    Les œuvres placées sous l’intitulé « Les nocturnes des bonnes vivantes » représentent des scènes dont il est dit que le peintre rend hommage à de grandes figures féminines de l’histoire.  Passé ce programme à la fois réaliste, illustratif, symbolique et culturel, reste la peinture complaisamment abordée dans un esprit expansif et une manière gestuelle connue pour avoir été honorée par d’autres (Soutine, Ensor etc.) ayant eu plus de sens artistique et de talent pictural. 


François Rouan, chez Templon, Rue du Grenier Saint-Lazare
    Rouan revient chez Templon. Pas de dépaysement. Les toiles sont monumentales, toujours conçues/composées selon les mêmes codes plastiques. Ça reste très beau, élégant, décoratif, parfaitement construit. Côté imagination, le peintre assure sa marque.


Megan Rooney chez Thaddaeus Ropac
    De belles et grandes peintures abstraites et informelles, très colorées et très tachistes, gestuelles et lyriques à souhait, qui rappellent les Nymphéas de Monet… sans autant subjuguer ni vraiment déborder comme lui d’imagination expressive. Une production efficace pour apparenter sans risque de beaux appartements à l’esprit moderne, audacieux et artistiques de leurs occupants potentiels.


La nuit américaine de Nicolas Delprat, Galerie Maubert
    « La nuit américaine » sert de titre à l’exposition. Comme on le devine il va être question de cinéma : ses lumières et leurs dispositifs, l’image réelle ou métaphorique de la salle obscure… ; il va aussi être question d’autres images inspirées par les écrans : leurs fantasmagories et les atmosphères qui les entourent ; il va être question de représentation et de vision, voire d’ajustements entre les deux concepts, et il sera évidemment question de temps puisque le cinéma est « l’art du temps ». Nicolas Delprat s’intéresse à ce que fait la lumière au cinéma, mais il le fait ici en peinture.  Marguerite Pilven, la commissaire de l’expo, puise dans la réflexion d’Hans Belting et instille : Nicolas Delprat travaille sur « L’écart entre ce qu’est la peinture et ce qui apparaît comme de la peinture.»* Tout est dans le « entre » (ou l’antre dans lequel la pénombre de la salle obscure peut laisser imaginer une vue en même temps étrange de l’atelier du peintre).
    Peut-on se risquer à préciser que sur la question picturale, le peintre semble quelque peu oublier le travail d’interprétation sensible proposé à l’œil du spectateur ? Conçoit-il que ce dernier a sa culture des œuvres artistiques passées, qu’il a par ailleurs certaines idées sur l’imagination plastique du motif et la question de son expression visuelle ?
    Marguerite Pilven insiste : « au-delà des questions incessantes au sujet de ce qui serait réaliste, figuratif ou abstrait, l’effet produit par le tableau repose sur des conventions auxquelles le spectateur choisit ou non adhérer.» Mais ne s’agit-il que de cela quand les moyens du peintre doivent être autant ceux des sciences de l’art que ceux de la sensibilité dans leur appropriation conjointe ? Quelles que soient ses sources figurales et quelles que fussent ses clins d’œil à l’art conceptuel du photographique, voire les effusions gestuelles tachistes qu’il peut mobiliser, les peintures de Nicolas Delprat multiplient les reprises conventionnelles de la peinture du portrait sans induire de bouleversement pictural. Les œuvres exposées réitèrent souvent le statut commercial du tableau traditionnel, objet dépositaire d’une composition descriptive et illustrative où la peinture paraît n’être qu’un voile davantage qu’un écran possiblement dialectique du 7e art. La question n’est pas qu’elles soient bien ou approximativement réalisées, la question est celle de leur forme seulement spectaculaire dont il ne s’extrait pas ou qu’il n’a pas abandonnée, valeur qui pour cette raison réduit potentiellement les mouvements d’imagination poïétique et artistique.
    L’exposition, bien que surprenante sur le plan des vues et l’envie supposée du peintre à les faire « être la peinture » comme les faire « apparaître comme de la peinture » laisse perplexe. Le désir de Nicolas Delprat est d’entremêler son inspiration à un questionnement esthétique sur l’image : son origine, son environnement et sa perception, voire son début ou son apparition et son apparence, notamment la construction visuelle de cette dernière qui marque le pas et semble parfois inefficace, verrouillée sur un rendu documentaire. In fine, les peintures lissent des images d’objets d’éclairages en les proposant « à frais nouveaux » et selon des codes éprouvés. A ce stade, le cinéma d’auteur ne sert presque à rien.

*Hans Belting, Pour une anthropologie des images, p.298, éd. Gallimard, cité par Marguerite Pilven, La nuit américaine, galerie Maubert. ** Marguerite Pilven ibid.

 

Des corps quasi décomposés de Georg Baselitz chez Taddaeus Ropac Pantin
    Trois séries de peintures de Bazelitz et un ensemble de huit dessins à l’encre sont présentés pêle-mêle à l’aune d’un hommage et d’une reprise implicites de L’aubade — une œuvre de Picasso datée de 1942— un portrait de sa femme se tenant la tête, et d’autres mélanges d’inspirations puisées dans les techniques d’impression par report ou collage surréaliste, un bleu caractéristique du peintre Lucas Cranach… Chaque peinture est esthétiquement pétrie selon les codes expressifs où on le reconnaît. C’est encore une fois impressionnant, grandiose, et en même temps aussi peu complexe que déconcertant, voir inquiétant dans la composition et des effets esthétiques déjà formellement connus…
    Les peintures exposées à la galerie Tadaeus Ropac Pantin sous le thème « « La boussole indique le nord » reprennent donc les habitudes de composition iconoclaste et le style expressionniste du peintre. Elles marquent son attirance pour les formes minimalistes et/ou traduites comme des vestiges ou superposées en palimpsestes comme des récits visuels. Elles reprennent ses paries sur le gigantisme des tableaux posés comme des pans d’architecture… Il est aussi assuré que le style de l’artiste demeure à la fois figuratif, narratif et onirique. Parallèlement, rien n’est dit ou évoqué sur le dessin davantage traité « à l’arraché » et volontairement approximatif que rapporté à un geste conceptuel, qu’il repose sur une esthétique du désastre de la forme cernée. L’artiste brouille l’affaire de son travail et inquiète en déstabilisant arbitrairement ce qui doit être représenté selon un protocole uniquement formel ; par le remplacement du bas pour le haut, il questionne l’orientation conventionnelle de l’image par principe et parti pris. Ce faisant, il ne saurait empêcher qu’on regarde ses images comme elles paraissent. L’expression conceptuelle des peintures exposées de manière quasi littérale permet qu’on privilégie de les regarder dans le sens où elles se trouvent être.
    On regarde ce que les yeux voient en (très) grande partie. Comme des tombes ouvertes et des corps exhumés. Comme des dépôts humains oubliés et mis à jour au hasard de grattages, puis rassemblés un peu approximativement pour vaguement silhouetter un homme. Comme des tas sédimentés de chairs desséchées et décomposées. Comme leurs fragments plus épars que réunis. Comme les ombres de disparus reconstitués par morceaux, extraits de matières, traces réelles mais innommables et débris inconcevables et pourtant imagés… Les images semblent parler de morts, du moins de ce qui subsiste de leurs corps décomposés et exposés à vue comme en pleine nature. On croit souvent voir des charniers. Difficile de ne pas autopsier par rémanence des intentions ou des souvenirs historiques pour le peintre allemand.
    Partant, le drame des peintures me semble davantage tenir de leurs couleurs que de leurs formes. Ici ou là, les interprétations font dévier les sensations éventuellement morbides vers des aperçus sans autre histoire qu’une relation esthétique personnelle. Sur certaines toiles les tombes et les images de corps s’ouvrent sur des sites roses et bleus, doucement enluminés comme des moments charnels, sur d’autres le portrait de l’épouse du peintre est éclairé comme un paysage presque bucolique ; partout les apparences d’empreinte par report résonnent d’une plasticité expérimentale, parfois intuitive.
    Les peintures exposent ce qu’on peut y repérer, ou ce qu’on ne peut que voir de ce qu’elles montrent. C’est à l’insu du peintre que ce qu’il compose se détourne de lui ou le contourne : « tu as voulu peindre comme ça, eh bien vois ce que ça fait au motif peint et mêle toi de ce qui t’occupe ». La beauté expressionniste des œuvres peintes de Bazelitz ne permet pas de feindre l’oubli d’analogies contraires.

 

Frantz Lecarpentier œuvre à la galerie Fabrique Contemporaine
    Seul le tableau compte, le fait d’imaginer son œuvre pour mieux la concevoir en peinture. Frantz Lecarpentier pratique un style matiériste abstrait ou semi figuratif proche de Nicolas de Stael et ne cache rien des sources artistiques qui le poussent à exprimer le plus sincèrement et la plus abruptement la conception de son art. Il veut faire gagner la peinture comme pratique. En marge de sa méthode et de sa production actuelle volontairement plus sensible que froide et distancée, il creuse à sa façon ce que, dans tous les sens du terme, le motif fait à la peinture.
    Dans la galerie, les peintures reflètent des époques différentes de l’activité du peintre. Des productions intimes sur des formats très petits concurrencent avec bonheur des compostions murales. Ailleurs, une série d’œuvres récentes de dimensions intermédiaires peintes sur papier brun est attachée à d’autres études. Toutes sont peintes avec la même véhémence mais sous une nuance remarquable : on devine l’artiste taraudé par l’écart qui lui permet de passer d’un univers uniquement plastique à l’évocation d’un pan de peinture pure fusionné au signe plastique d’une fenêtre. Le regard s’intrigue de la manière dont le peintre excelle dans les deux programmes.
    Les caractéristiques plastiques des peintures actuelles retiennent l’attention. On sait que le débat sur la composition et sur l’acte de peindre existent depuis la Renaissance, qu’il entremêle les paradigmes du pan de peinture pure et de la place du peintre à son travail, sinon celui du spectateur face à l’œuvre ; on sait qu’il questionne le modèle de la fenêtre à la fois subjectile métaphorique du tableau et cadre dont le bord inferieur peut coïncider avec un socle admoniteur et in fine l’intérêt de l’image à venir. On repère dans les œuvres exposées de Frantz Lecarpentier que ces divers propos taraudent ensemble son envie de peindre. In fine orienté par son format, un effet miroir qui ne se cache pas d’en être, et l’orientation verticale de l’image, le peintre ajoute entre analogie et index du mouvement de l’œuvre à faire au paradigme du tableau-fenêtre un dispositif sensible de portrait. Une manière de filigrane instille ici une attitude du peintre potentiellement critique devant l’interprétation en peinture.
    Frantz Lecarpentier a donc peint une série d’œuvres flottant entre composition libre sur un thème donné et natures mortes dans un style expressionniste. Les moyens sont au rendez-vous en fonction des références artistiques qui inspirent la passion de l’artiste : des couleurs massives, appliquées et surfacées, crues ou nuancées par des chevauchements irréguliers, une pratique visible et assumée. Le sujet fondu dans la composition flotte entre les sources d’interprétations et on voit bien que le peintre a cédé émotionnellement à leurs richesses confuses. Sur les cimaises, les peintures portraiturent en même temps un itinéraire de peintre et les strates d’observation où la passion d’être artiste ne fait pas mine d’exister.