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08/09/2017
Traversée par toutes les versions du rêve, Françoise Pétrovitch fait divaguer entre elles toutes les formes mystérieuses de la figuration. L’artiste, que par ailleurs la science et l’imagination des moyens plastiques n’effraie pas, en profite pour réinterroger sans cesse le symbolisme de ses paysages intérieurs…pour faire d'une imagination du tableau mieux qu’un récit : un compte de tout et rien, allégé de toute histoire sans préalable, le je ne sais quoi fugace et malicieux d’un moment de peindre juste délicieux.
Traversée par toutes les versions du rêve, Françoise Pétrovitch fait divaguer entre elles toutes les formes mystérieuses de la figuration. L’artiste, que par ailleurs la science et l’imagination des moyens plastiques n’effraie pas, en profite pour réinterroger sans cesse le symbolisme de ses paysages intérieurs, de questionner picturalement l’autorité de fils d’inspiration de toutes natures qui la lient imaginairement à son art.
Avec les nouvelles créations rassemblées sous le thème « « Sonatines » à la galerie Sémiose, l’inversion de toutes les fictions où elle s’est jusqu’ici illustrée montre à vif des libertés aussi formelles que visuelles plus surprenantes que jamais. En opposant cette fois sa version intime de la fin de l’histoire aux perspectives de représentations de la peinture figurative, elle initie non pas des images analogiques peintes mais fait sentir leur intérêt dans un cheminement pictural désormais détaché de certains préalables référentiels. D’où de nouveaux récits pour de nouvelles peintures encore figuratives mais tranquillisées. Mêlée à des sculptures, la série de peintures présentes rassemble des récits en une seule image, à la picturalité gestuelle résolument fraîche et abondante, curieuses dans la sobriété de leur composition cependant complexe et animée ; en fait libre et joyeusement inconséquente sur sa pure poésie plastique. En Fête !…devrais je dire.
Suivant l’évolution de son travail depuis longtemps, je songe rétrospectivement à ses trajectoires artistiques plus qu’aux œuvres isolément : un attachement de jeunesse pour l’œuvre à la fois autobiographique et poétique de Mac Chagall, puis des paysages urbains où les solitudes et le vide géométrique des immeubles et des rues forcent une sourde abstraction par rapport au réel. J’ai en mémoire les premiers êtres représentés à l’encre, des adolescents comme surgissant de leurs corps aquarellés et évanescents, ou se fondant dans leur support de papier, comme s’ils lui devaient d’exister, n’être que des œuvres plastiques ou transposer des souvenirs. Et, parcourant ces images diaphanes, les ombres et les reflets indistincts de silhouettes enfantines justes suggérées, évoluant seules ou jouant en groupes informels… Je revois ses interventions plastiques dans l’espace urbain, dans et sur des vitrines aimablement prêtées, vues incertaines à la fois dans et hors du paysage de la rue. Il y a aussi les livres d’artistes et tout leur travail éditorial, les dessins et les gravures, toujours nombreux et édifiants par leur intimité avec le lecteur, jamais tenu pour étranger, l’omniprésence du monde de l’enfance et ses histoires de rêves vrais ou inventés. Je songe à ses sculptures et ce qu’elle leur fait montrer, ce à quoi elle les rapporte : des histoires mythologiques ou icôniques, parfois le film en trois dimensions de résonnances là encore secrètes. Au fur et à mesure des productions, constamment débordées par leur plasticité aussi généreuse que « tirée au cordeau », la perfection imaginative des œuvres fascine…
Puis il y a les histoires enfantines peintes sur les murs, avec pour effet un stupéfiant retournement icônographique de l’histoire du tableau. D’éditoriales, les images virent dialectiquement au street art depuis l’opportunité de leurs contextes. Ces récits comme toujours un peu journaliers par leurs circonstances deviennent avec leurs dimensions architecturales d’immenses microcrocosmes intimes rendus publics. Il m’a techniquement toujours semblé qu’à travers ces visions à l’échelle du monde environnant, Françoise Pétrovtich cherchait aussi non seulement à plébisciter dans ses compositions l’insertion sémantique de l’échelle du spectateur, mais encore à nouer avec les principes techniques du all over. Par ce moyen supplémentaire, l’idée d’un pacte d’inspiration expressive augmenté avec le spectateur permet de se sortir de la toile pour la dépasser, le but étant de configurer aussi oniriquement que physiquement un paysage hors cadre. Ou en partie ailleurs…
Et il y a les calques, que depuis deux ans environ elle produit, de somptueux montages en forme de palimpsestes, tout en confidences susurrées : monuments de faits et de personnages où les figures confrontées à la superposition des écrans de papiers translucides partagent entre-eux par reflets. Partout sont mises en places des suggestions mémorielles et les libertés narratives d’une picturalité traitée par une fugacité d’apparat, en réalité aussi profondément cultivée que subtile dans les détails esthétiques. Puis Marseille, l’été 2016, et l’occasion d’une sorte de rétrospective. Je crois y avoir ressenti l’amorce de cette « sortie de l’histoire » que j’évoque et où l’exposition actuelle à la galerie Sémiose précisément culmine en grande partie. Françoise Pétrovtich, par une émotion irrésistible, présentait une série de peintures de grands formats d’une vivacité picturale et d’une autonomie technique tout à fait imprévues. Leur facture notamment, toujours directe et gestuelle, partout changeante et véhémente, charnelle et énergique, semblant portée par d’autres pratiques d’engagements du dessin, d’autres histoires de zones laissées vides ou de parties non peintes, de figures complètes ou approximativement restituées, d’autres rapports au temps du tableau, au corps de la toile, à la focale du sujet peint. Ce sont en même temps des visions de personnages, des silhouettes d’arbres et d’édifices bel et bien constitués, chargés de couleurs et de signes évocateurs. Le long de la cimaise, les toiles permettent de suivre l’artiste en action, sa pratique vigilante que chaque œuvre s’appuie des forces picturales quasi naturelles, d’un mot, mais c’est l’idée qui compte : inverser les priorités entre le titre et le coup de poing pictural du tableau.
Et donc ces nouvelles œuvres à la galerie Sémiose. Le mouvement est en effet lancé d’un tri entre les histoires, davantage qu’un laisser tomber général de tout ce que peut l’Histoire. Tous les récits comme toutes les séquences ne se valent pas. Toutes les abstractions et toutes les suspensions ou retraits (sinon les oublis) ne les remplacent pas, même de façon allusive. L’histoire que laisse Françoise Pétrovitch ne marque pas la fin de ses rêves et de ses émotions, avec l’intimisme au présent ou à l’imaginaire des émotions humaines ; mieux, elles les libèrent. Ainsi, tout en continuant d’être une authentique recherche, sa peinture n’en poursuit pas moins une narrativité onirique. C’est le ton qui change, l’évocation purement visuelle invite la description suggestive. Le particulier de simples scènes remplace le sous-entendu, inconsistant ou symbolique, et dont les limites sont discutables. Le plaisir de peindre, simplement étendu à l’essentiel d’un sujet également simple, est démêlé de ce qui l’entrave, débarrassé de ce qui l’encombre. Regardez les tableaux laisser un thème se faufiler au milieu de leurs compositions visiblement libérées de toute convention. Arrêtez vous un instant et concentrez vous sur l’éperdu passionné et émouvant des gestes de l’artiste captée par son propre rythme de travail. Remarquez comme les dissociations des compositions ne sont qu’apparentes, qu’en vérité l’artiste n’a fait son propre temps de travail que perspectives d’approches et de réalisations. Le rouge s’emporte dans des gestes et développements expressifs incontrôlables, l’orangé ou le rose suivent, accompagnent, nuancent, dialoguent entre les autres surfaces autrement peintes. Ils contrepointent autant qu’ils doivent par ailleurs. Des verts et d’autres teintes rapidement brossées se déclinent en textures visuelles à partir desquelles l’empreinte comme la trace des outils deviennent des échos tantôt proches, tantôt éloignés d’histoires parallèles ; uniquement parallèles. On voit la brosse ou le pinceau filer l’aventure d’une figure, la décrire d’un cheminement aux carrefours multiples, au spectateur de voir. Une surface colorée ou un geste de brosse mime un pan d’architecture… La simplicité naturelle de son toucher évolue sous couvert de ses maîtrises du dessin et d’un sens de la picturalité qu’on devine implacable, épais de tout ce qui lui a précédé : dessin et sculpture, peintures à l’encre et assemblages de papiers, discrètes interventions éditoriales et œuvres in-situ. Dans ces nouvelles recherches, tout se combine avec légèreté, s’imbrique et se dépasse aussi bien astucieusement que sensiblement. Et surtout tout vibre et vole ; redoutable plasticité qui s’invente en se pratiquant de sa pleine liberté.
Aucune toile exposée n’a pour elle-même un titre. L’exposition est toutefois chapeautée par ce titre « Sonatine en rouge et rose ». Il vient de l’extérieur, il émane du texte de sa présentation, mais convient à l’artiste qui trouve dans l’association du vocabulaire musical et des couleurs une légèreté évocatrice. Je songe en même temps à la définition d’une sonatine, une petite sonate, l’idée qu’il s’agit d’abord d’une « musique qui sonne ». Certaines sonata sont considérées comme des sommets de culture et de sensibilité purement musicale. La sonatine est d’un autre calibre, elle serait d’une allure à la fois subtile et anodine, portée par un programme délicatement pédagogique, de ces œuvres musicales dont la particularité est de sembler faciles, voire de troubler le jugement par cette commune apparence d’être graciles. On lui accorderait sans difficulté des résonnances enfantines. La sonata peut être d’église ou de chambre, autrement dit, réservée à des lieux d’intimité et de silence. Il est courant que la sonatine soit jouée par un seul interprète, au mieux une formation très sobre. Avec cette première exposition, les peintures réunies dans les ondes d’une douce musique, c’est toute la légèreté retrouvée de peindre comme on écoute une petite sonate que Françoise Pétrovtich semble vouloir expérimenter. Preuve, s’il en est, que l’artiste pense réellement sa pratique de la peinture comme une saisie heureusement prioritaire sur tout thème ou récit, avec l’incarnation d’un message désormais plus charnel que technique. Il se trouve qu’une toile presque à l’échelle humaine présente un colin-maillard onirique devant un décor aux apparences de dallage vide et plein poétique. Avec délicatesse, un filet de voix entonne que peindre ou dessiner peut effectivement réveiller en douceur une petite musique qui sonne.
La peinture de Françoise Pétrovitch vit au gré des toiles et des sculptures ses parts de naïvetés consenties. Les modèles utilisés sont naïfs, leurs images, un peu conventionnelles et impersonnelles conservent leurs traces d’emprunts à la photographie ou à l’illustration. On l’a dit, l’artiste compose ses tableaux. Pour chaque vue, chaque environnement où ils s’inscrivent et où ils s’insèrent est donc peint comme le signe extérieur revivifié d’une aura métonymique. Au milieu de tout ça, de ce « purement pictural sans histoire » flottant ou volant, bien calé sur son moment de vie, Françoise Pétrovitch fait de l’imagination du tableau mieux qu’un récit : un compte de tout et rien, le je ne sais quoi fugace et malicieux d’un moment de peindre juste délicieux.
Alain Bouaziz Septembre 2017